Les lois organiques relatives aux finances publiques
Sommaire
Ordonnance n°59-2 du 2 janvier 1959
L’ordonnance n°59-2 du 2 janvier 1959, annoncée comme « loi organique relative aux lois de finances », marque la première étape d’un contournement systématique du Parlement. Prise au Conseil des ministres sans vote en hémicycle, elle détaille un régime global régissant la préparation et le vote des lois de finances, ainsi que l’équilibre budgétaire de l’État. Elle définit l’assiette des recettes, les modalités de recouvrement de l’impôt, et organise la répartition des crédits. Cette ordonnance intervient pourtant hors de la procédure stricte imposée par l’article 46 de la Constitution, qui exige un vote spécial, une saisine du Conseil constitutionnel et une ratification par le Parlement.
Par cette usurpation de la compétence législative, le Gouvernement a donné à son ordonnance une autorité de nature organique, sans jamais la soumettre au contrôle démocratique ni à l’examen public. Ce texte fondateur a ainsi établi un cadre fiscal et budgétaire dont la légitimité repose exclusivement sur la force réglementaire, ouvrant la voie à une suite de manipulations normatives.
2. Usurpation du pouvoir exécutif et article 92
L’article 92 de la Constitution de 1958, absent de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, autorisait pourtant l’usage d’ordonnances « avec force de loi » pour organiser les institutions de la Ve République. En s’appuyant sur ce seul texte pour édicter sa loi organique, le Gouvernement a violé :
- l’article 90 de la Constitution de 1946, qui réservait la révision à une procédure parlementaire stricte ;
- la réserve de domaine du Parlement (article 34) en matière fiscale et budgétaire ;
- le principe de séparation des pouvoirs, en évinçant l’Assemblée nationale du processus législatif.
Ce détournement de l’article 92 constitue un véritable coup d’État juridique : l’exécutif s’arroge la prérogative de rédiger, moduler et appliquer des règles financières fondamentales, sans aucun contre-pouvoir parlementaire ou judiciaire préalable.
Absence de loi organique conforme à l’article 46
La nature organique d’une loi implique un vote en séance publique, article par article, l’avis obligatoire du Conseil constitutionnel et la ratification expresse par le Parlement. Aucune de ces étapes n’a été respectée pour l’ordonnance 59-2 :
- pas de vote spécifique en hémicycle,
- pas de consultation du Conseil constitutionnel avant publication,
- pas de dépôt pour ratification législative dans le délai prescrit.
En conséquence, l’ordonnance 59-2 n’a jamais acquis la force de loi organique, ni du point de vue formel (incompétence procédurale) ni du point de vue substantiel (usurpation de la compétence législative). Le socle budgétaire et fiscal qui en découle reste donc privé de toute légitimité constitutionnelle.
Poursuite de la fraude sous la LOLF (2001)
La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001 était présentée comme une refondation pour plus de performance et de transparence. Elle structure les lois de finances selon :
- l’article 1er, posant la nature et l’affectation des recettes et des charges ;
- l’article 34, détaillant la part des recettes et crédits par missions et programmes.
Pourtant, la LOLF n’a jamais procédé à la revalidation des bases fiscales historiques (CGI, LPF) selon les procédures spéciales de l’article 46. Elle a simplement reconduit l’édifice vicié dans un habillage managérial, déplaçant le débat vers l’efficacité économique plutôt que vers la légalité démocratique. Cette réforme a donc institutionnalisé la fraude initiale, en masquant les vices de fond sous des indicateurs de performance.
Principes du BOFiP et illégalité permanente
La doctrine fiscale du BOFiP (BOI-CTX-DG-20-10-10) rappelle :
- Principe de légalité fiscale : « Aucun prélèvement fiscal ne peut être opéré sans être autorisé par une loi expresse » (§ 10-30).
- Autorisation annuelle : « Le Parlement doit autoriser chaque impôt chaque année » (§ 50).
- Compétence exclusive du législateur pour l’assiette et le recouvrement (§ 90-110).
- Codification non créatrice de droit (§ 230).
- Caractère d’ordre public des règles fiscales (§ 270).
Ces principes mettent en lumière l’inconstitutionnalité des décrets et ordonnances fondateurs du CGI, du LPF et des lois organiques. Ils confirment que ni l’ordonnance 59-2, ni la LOLF, ni leurs révisions successives ne peuvent légitimer un système fiscal né d’une rupture avec les exigences constitutionnelles.
La réforme de 2021 : consolidation managériale d’un socle illégal
La loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021, relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, s’inscrit dans la continuité directe de la LOLF. Plutôt que de remettre en cause les fondements contestables du régime fiscal et budgétaire français, elle renforce l’architecture managériale en introduisant de nouveaux outils techniques : effort structurel, solde structurel, PIB potentiel et pilotage par indicateurs.
Sous couvert d’alignement sur les standards européens et d’objectifs d’équilibre, cette réforme formalise l’absorption du droit interne par les contraintes du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de 2012. Le Parlement n’exerce plus qu’un contrôle d’habillage sur des trajectoires préformatées au niveau européen et le Haut Conseil des finances publiques, adossé à la Cour des comptes, devient le garant technocratique de cette nouvelle orthodoxie budgétaire, sans jamais questionner le vice initial de légalité de toute la chaîne normative.
La loi organique n° 2021-1836 a aussi révisé l’article 2 de la LOLF pour préciser que les impositions peuvent être affectées à des personnes publiques ou, exceptionnellement, à des tiers chargés de missions de service public, à condition d’être expressément mentionnées dans une loi de finances. Elle a abrogé l’article 36 et élargi l’article 51 pour redéfinir la notion de « ressources » affectables. En décembre 2024, la loi organique n° 2024-1177 a encore complété cet article 2, autorisant l’affectation directe de taxes à des organismes de l’audiovisuel public, confirmant l’usage croissant des lois organiques comme vecteurs de contournement de la souveraineté parlementaire.
La décision n° 2021-831 DC du 23 décembre 2021 du Conseil constitutionnel, qui a validé cette réforme, illustre parfaitement cette dérive : n’interrogeant ni la légitimité originelle de l’ordonnance 59-2, ni les vices de la LOLF, elle a simplement entériné un « droit budgétaire fictif » par une simple vérification procédurale. Le Parlement a ainsi vu sa souveraineté budgétaire définitivement érodée au profit d’une technostructure financière opaque et autoréférentielle.
Conclusion : l’échec de la refondation
Ni l’ordonnance n°59-2, ni la LOLF de 2001, ni ses modifications ultérieures n’ont rétabli la légalité démocratique et constitutionnelle des finances publiques. Ces textes ont institutionnalisé une fiction normative, en excluant le Parlement et en privant les citoyens de toute garantie juridique. L’édifice budgétaire français reste ainsi fondé sur des bases illégitimes, masquées par un vernis managérial, et perpétué par une doctrine fiscale qui ignore les vices de fond et de forme. Pour restaurer l’état de droit, seul un réexamen complet et une refonte législative conforme à la Constitution peuvent mettre fin à cette fraude institutionnalisée.

CISDHJ
Siege social
Rue du Locle 5a,
2300 la Chaux-de-Fonds (Suisse)