Code général des impôts

Le Code général des impôts : une construction illégale et inconstitutionnelle

1948–1950 : Un processus vicié dès son origine

La loi du 17 août 1948 : une réforme sans habilitation constitutionnelle

Le Code général des impôts, tel qu’il est connu aujourd’hui, puise son origine dans un processus profondément irrégulier, engagé sous la IVe République, dès la fin des années 1940. Ce processus prend sa source dans la loi n°48-1268 du 17 août 1948, qui visait à moderniser la législation fiscale. Cette loi, bien qu’adoptée par le Parlement, ne saurait être considérée comme une habilitation constitutionnelle au sens de la Constitution du 27 octobre 1946. Celle-ci, en son article 13, stipulait avec clarté que l’Assemblée nationale votait seule la loi et ne pouvait déléguer ce droit, sauf dans des conditions strictement encadrées et expressément prévues. Or, la loi du 17 août 1948 n’instaure ni procédure d’ordonnance ni mécanisme de ratification. Elle se borne à autoriser le gouvernement à intervenir par décret pour mettre en œuvre une réforme technique des textes fiscaux, sans conférer à ces décrets la moindre force législative.

Le décret du 9 décembre 1948 : une codification réglementaire sans valeur législative

Dans ce cadre, le décret n°48-1986 du 9 décembre 1948 est adopté. Publié au Journal officiel le 1er janvier 1949, il constitue une compilation de 296 articles organisant l’ensemble du régime fiscal applicable en France. Ce décret, bien qu’ambitieux dans sa structure, n’est qu’un acte réglementaire. Il ne repose sur aucune habilitation législative valide et n’a jamais été ratifié par le Parlement. Il ne peut donc, en droit, fonder une codification ayant valeur législative. Ce caractère réglementaire est d’autant plus évident que l’article 15 de la loi de finances n°48-1974 du 31 décembre 1948, qui mentionne le « code général des impôts annexé au décret », conditionne sa mise en œuvre à l’adoption d’un règlement d’administration publique ultérieur. Cette subordination d’un texte prétendument législatif à une décision du pouvoir exécutif constitue une entorse manifeste à la hiérarchie des normes et à la séparation des pouvoirs. En réalité, aucun code n’a jamais été annexé de manière autonome au décret. Le « code » invoqué est intégré directement dans le décret lui-même, confirmant qu’il s’agit d’un texte administratif dépourvu de légitimité législative.

L’article 274 et la question des délais : une caducité juridique certaine

L’article 274 du décret du 9 décembre 1948 prévoyait que la refonte complète des codes fiscaux devait intervenir, par décrets, avant le 1er juillet 1949. Ce délai impératif n’a jamais été respecté. Plusieurs tentatives de régularisation ont été entreprises a posteriori, mais toutes sont juridiquement vaines. L’article 16 de la loi n°49-1033 du 31 juillet 1949 tente de remplacer la date butoir par celle du 31 octobre 1949, mais sans prévoir explicitement la rétroactivité de cette prorogation, ce qui la rend inopérante en droit. Les prorogations suivantes — jusqu’au 31 janvier 1950, puis jusqu’au 28 février 1950 — souffrent également de graves vices, notamment l’erreur manifeste de l’article 7 de la loi n°50-141 du 1er février 1950, qui fait référence à un décret inexistant (n°48-1989) au lieu du texte réel. Cette erreur matérielle porte non sur une simple coquille, mais sur l’objet même de la prorogation législative, ce qui la rend juridiquement nulle. Ainsi, le délai légal prévu par l’article 274 du décret de 1948 a définitivement expiré le 31 janvier 1950, sans qu’aucune prorogation valide n’ait pu être mise en œuvre. Tout texte pris postérieurement à cette date repose sur une base juridiquement éteinte.

1950 : Le décret n°50-478 et la naissance irrégulière du CGI

Un décret hors délai, sans ratification et sans valeur légale

C’est pourtant dans ce contexte d’illégalité manifeste que le décret n°50-478 du 6 avril 1950 est adopté. Présenté comme un règlement d’administration publique, il annexe un « Code général des impôts » unifié. Ce décret fait référence à de nombreuses lois, censées asseoir sa légitimité, parmi lesquelles celles du 17 août 1948, du 31 décembre 1948, et une série de lois budgétaires votées entre 1948 et 1950. Mais aucune de ces lois ne contient de disposition habilitant formellement l’exécutif à procéder à la codification de l’ensemble du droit fiscal. Aucune n’adopte expressément le texte annexé au décret du 6 avril 1950. La codification opérée par ce décret est donc intervenue en dehors de tout cadre légal régulier, après expiration des délais autorisés, sur le fondement d’un texte réglementaire sans force législative. En conséquence, le CGI tel que promulgué en 1950 est dénué de toute valeur juridique opposable.

1950–1958 : Une fiction normative perpétuée

Une absence totale de ratification sous la IVe République

Durant la période 1950–1958, aucun correctif législatif n’est venu réparer cette illégalité initiale. Le Code général des impôts a continué à être appliqué par l’administration comme s’il était un texte législatif en vigueur, sans jamais avoir été adopté ni confirmé par le Parlement. Cette tolérance de fait n’a jamais produit de validation en droit. Au contraire, elle a instauré une pratique coutumière illégitime, où l’exécutif modifie, interprète et applique un corpus fiscal sans qu’il ait jamais été légalement constitué. Les réformes fiscales successives durant cette période se sont contentées d’amender ce code « fantôme », perpétuant une fiction normative ininterrompue. Le pouvoir législatif, pourtant seul habilité à fixer les règles en matière d’impôt, a été contourné de manière structurelle, en contradiction directe avec les principes de la Constitution de 1946, puis, dès octobre 1958, avec ceux de la Constitution de la Vᵉ République.

Une reconduction tacite et anticonstitutionnelle à l’avènement de la Cinquième République

Ainsi, au moment où la nouvelle Constitution entre en vigueur, le Code général des impôts repose sur un décret initial frappé de nullité, une série de prorogations illégales, et une absence totale de ratification. Ce socle instable aurait dû être réexaminé et régularisé dans le cadre du nouveau régime constitutionnel. Il n’en a rien été. Le CGI a été tacitement reconduit, modifié au fil des années sans adoption parlementaire consolidée, en totale contradiction avec l’article 34 de la Constitution de 1958, qui réserve au législateur la compétence exclusive pour fixer l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement de l’impôt. Cette irrégularité d’origine demeure à ce jour, rendant l’ensemble du système fiscal français entaché d’illégalité constitutionnelle.

Après 1958 : la pérennisation d’une fiction législative

Le basculement sous la Cinquième République : une occasion manquée de régularisation

Avec l’entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958, un nouveau cadre institutionnel est établi. Celui-ci renforce considérablement la distinction entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, en encadrant strictement la production normative. L’article 34 de la nouvelle Constitution consacre le principe selon lequel seul le Parlement peut fixer « l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». Toute intervention du pouvoir exécutif en matière fiscale est donc expressément proscrite, sauf à passer par une procédure d’ordonnance conforme à l’article 38.

La codification indirecte : un procédé inconstitutionnel

À partir de 1960, l’État engage une série de réformes fiscales majeures, notamment avec la création de l’impôt sur le revenu. Mais plutôt que d’édicter une nouvelle législation autonome, le législateur opte pour un procédé dit de « codification indirecte ». Ce mécanisme consiste à intégrer des dispositions fiscales nouvelles dans le CGI par renvoi ou par simple annexion à des lois de finances, sans reprise explicite des textes dans le corps de la loi votée. Ainsi, l’impôt sur le revenu a été introduit par la loi n°59-1454 du 26 décembre 1959, qui renvoie à des « états annexés » (A à K), contenant les modalités essentielles de l’imposition, sans que ces états fassent l’objet d’un vote article par article.

L’article 11 de la loi du 1ᵉʳ mars 1951 : l’instrument d’une fraude normative continue

Un autre mécanisme a été mobilisé pour alimenter le CGI en contenu prétendument législatif : l’article 11 de la loi n°51-247 du 1ᵉʳ mars 1951. Cet article autorisait, sous la IVᵉ République, l’intégration de textes législatifs ou réglementaires dans le CGI par voie de décret, sans que ceux-ci aient à être explicitement mentionnés. Cette disposition, présentée comme un outil technique de consolidation, constitue en réalité un vecteur de fraude législative. Le Conseil d’État a clairement établi dans son avis du 21 février 2021 que « les dispositions fiscales issues de lois dont l’incorporation dans le Code général des impôts a été réalisée par des décrets pris sur le fondement de l’habilitation issue de l'article 11 de la loi n° 51-247 du 1er mars 1951 ne peuvent être regardées comme ayant été abrogées par celles qui en reprennent la substance au sein de ce code ». Autrement dit, même lorsque ces anciennes dispositions sont actualisées ou intégrées dans des textes récents, leur simple reproduction ne vaut pas abrogation formelle : elles continuent de produire des effets sans jamais être explicitement identifiées ou supprimées. Cette dissimulation correspond à une véritable fraude législative : l’administration fiscale applique des règles obsolètes sans qu’elles soient clairement repérables, ce qui contrevient au principe de sécurité juridique et empêche les contribuables de connaître avec certitude les normes applicables. De surcroît, s’appuyer sur l’article 11 d’une loi de 1951—antérieure à la Constitution de 1958 et non reconduite—viole l’article 34 de la Constitution, qui réserve au Parlement l’exclusivité de la création et de la modification des règles fiscales. Ce stratagème de camouflage juridique a permis à l’État de perpétuer, en toute discrétion, des lois d’un régime dépassé, tout en contournant les procédures législatives normales

Un code sans publication consolidée ni valeur légale reconnue

Jusqu’à aujourd’hui, le Code général des impôts n’a jamais été publié sous une forme consolidée, complète et authentifiée au Journal officiel. Les différentes versions disponibles sont des éditions administratives, publiées par la DGFIP ou les éditeurs juridiques, sans valeur légale propre. L’autorité de ces textes repose sur leur usage administratif, non sur leur adoption par la représentation nationale. En cela, le CGI demeure un objet juridique incertain, en violation directe de l’article 1er du Code civil, selon lequel seuls les textes publiés au Journal officiel ont force obligatoire.

1960–1980 : L’extension incontrôlée d’un code sans fondement

L’ère des lois de finances et de la confusion normative

À partir de 1960, la fiscalité française entre dans une phase d’expansion rapide, marquée par l’introduction de l’impôt sur le revenu, de la TVA généralisée, et d’un ensemble complexe de dispositifs sectoriels. Mais cette mutation ne s’accompagne pas d’un effort de clarification juridique : au contraire, les lois de finances se contentent d’ajouter ou de modifier des articles du CGI existant, sans jamais le refondre ni le valider formellement. Chaque année, des articles sont insérés, remplacés ou abrogés par renvoi dans les lois budgétaires, parfois sans que le texte modifié ne soit lui-même repris dans le corps de la loi. Cette technique dite de codification indirecte crée une stratification opaque, où coexistent des dispositions anciennes d’origine réglementaire et des apports législatifs récents, sans qu’aucun acte ne vienne authentifier l’ensemble.

Une jurisprudence complice et une administration toute-puissante

Durant cette période, ni le Conseil constitutionnel ni le Conseil d’État ne remettent en cause la légalité du CGI, malgré les entorses répétées aux principes de la hiérarchie des normes. L’administration fiscale, quant à elle, étend progressivement ses prérogatives en s’appuyant sur un corpus qu’elle interprète et modifie de facto, notamment par la publication de circulaires, d’instructions, et de versions « mises à jour » du code sans force légale propre. Le contribuable se trouve confronté à un système qu’il ne peut ni comprendre ni contester efficacement, puisque la loi elle-même se dérobe derrière une codification mouvante, sans publication consolidée officielle.

1981 : La création du Livre des procédures fiscales (LPF)

En 1981, le gouvernement crée le Livre des procédures fiscales (LPF) par le décret n°81-859 du 15 septembre 1981, sans loi d’habilitation ni ratification parlementaire. Présenté comme une simple réorganisation technique, ce texte a en réalité extrait du CGI l’ensemble des règles de procédure, tout en prolongeant les illégalités structurelles du système fiscal. Le LPF, tout comme le CGI, repose sur un fondement réglementaire dépourvu de valeur législative.

→ Voir l’analyse complète du LPF

Depuis 2000 : un code toujours non consolidé, perpétuellement instable

L’ère du BOFiP : la codification sans publication légale

À partir de 2012, l’administration fiscale inaugure une nouvelle étape avec la mise en place du BOFiP (Bulletin Officiel des Finances Publiques – Impôts), présenté comme la référence officielle du droit fiscal français. Ce portail en ligne centralise l’ensemble des commentaires, instructions et mises à jour du CGI, désormais organisé selon une logique exclusivement administrative. Pourtant, le BOFiP n’a aucune valeur législative, ni même réglementaire : il s’agit d’un outil de doctrine interne de la DGFIP, sans publication au Journal officiel, et sans adoption par voie légale.

La LOLF : un cadre budgétaire qui ne régularise pas le CGI

Depuis 2001, le droit budgétaire est théoriquement encadré par la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui impose des règles de transparence et de contrôle parlementaire sur les finances publiques. Toutefois, la LOLF ne remédie en rien aux vices structurels du Code général des impôts. Elle ne constitue ni une validation rétroactive, ni une codification conforme de la matière fiscale. Le CGI demeure en marge du processus de clarification législative, continuant de s’appliquer sans que sa base juridique soit consolidée dans le respect des principes constitutionnels.

→ Voir la loi organique relative aux lois de finances

Une fiction juridique entretenue par inertie et par intérêt

Malgré ces vices profonds et persistants, l’État continue d’exiger des contribuables qu’ils se conforment à un code dont la légitimité n’a jamais été établie. Cette situation ne résulte ni d’un oubli, ni d’un vide juridique accidentel : elle est le fruit d’une stratégie consciente de l’administration fiscale visant à préserver un pouvoir d’action élargi, affranchi des contraintes parlementaires. En entretenant cette fiction normative, les autorités fiscales échappent au contrôle démocratique et institutionnel, tout en imposant des obligations d’une rigueur extrême aux citoyens.

Conclusion : un code fiscal sans fondement, inopposable en droit

Le Code général des impôts, censé incarner la légalité de l’impôt en France, repose en réalité sur une construction juridiquement profondément viciée, tant dans sa genèse que dans ses évolutions successives. Né d’un décret illégalement pris en 1950, sans habilitation parlementaire ni ratification conforme, le CGI n’a jamais été adopté comme une loi en bonne et due forme. Son contenu est resté instable, enrichi par des apports indirects ou des annexes budgétaires intervenue sans vote article par article. Cette situation, inacceptable dans un régime démocratique, appelle à une remise en cause immédiate et à une réaffirmation du principe fondamental selon lequel nul ne peut être contraint à l’impôt sans une loi régulièrement adoptée, promulguée et publiée.

CISDHJ_logo

CISDHJ

Siege social

Rue du Locle 5a,

2300 la Chaux-de-Fonds (Suisse)

Copyright © 2025 CISDHJ. Tous droits réservés.