Constitution de 1793 : la seule légitime

Une Constitution née du peuple et jamais abrogée

En 1793, pour la première et unique fois de l’histoire constitutionnelle française, le peuple souverain a adopté une Constitution par voie référendaire directe, sans intermédiaire, sans censure, sans condition de fortune. Cette Constitution de l’an I, approuvée par près de deux millions de citoyens, demeure aujourd’hui la seule norme juridique authentiquement fondée sur la volonté populaire. Jamais abrogée par le peuple, jamais remplacée par un texte voté dans les mêmes conditions, elle conserve sa légitimité et son opposabilité, en vertu des principes supérieurs de souveraineté, d’égalité, et de droit révolutionnaire. Face aux constitutions imposées par la force, la ruse ou la confiscation du pouvoir, elle représente le socle oublié, mais intact, de la démocratie réelle. Ce texte en rétablit la mémoire, la portée, et la validité.

Une Constitution née du peuple souverain

La Constitution du 24 juin 1793 — souvent appelée, dans l’historiographie, « Constitution montagnarde » en raison de l’appui décisif des députés jacobins — est la seule Constitution française issue d’un processus direct de démocratie populaire. Elle fut soumise au vote des assemblées primaires dans toute la France, selon une procédure prévue par l’Acte constitutionnel lui-même, fondée sur le suffrage universel masculin.

Cette validation populaire est attestée par les procès-verbaux authentiques de l’époque, notamment ceux publiés dans les Archives parlementaires. Une liste nominative des cantons ayant voté « oui » y est intégralement consignée, confirmant l’étendue nationale de l’adhésion au texte. Ce processus fonde l’expression la plus directe de la souveraineté populaire, en rupture totale avec les régimes fondés sur l’hérédité ou le droit divin.

Le texte s’ouvre sur l’Article 1er : La République française est une et indivisible. Par cette formule, la République naît juridiquement, conforme aux principes révolutionnaires de liberté, d’égalité et de souveraineté populaire.

La souveraineté populaire comme principe fondateur

Ce principe est immédiatement précisé dans les deux articles suivants. L’article 2 dispose : « Le peuple français est distribué, pour l'exercice de sa souveraineté, en Assemblées primaires de canton. » Il consacre ainsi une forme de démocratie directe, fondée sur une participation populaire active à l’élaboration de la loi et aux décisions fondamentales. L’article 3 précise que cette organisation souveraine ne se confond pas avec les structures administratives et judiciaires, en affirmant : « Il est distribué, pour l'administration et pour la justice, en départements, districts, municipalités. » La Constitution distingue donc clairement l’organisation de la souveraineté populaire, exercée par le peuple lui-même, de celle des services publics, confiés à des pouvoirs constitués.

Justice : Loi fondamentale des 16-24 août 1790

La loi des 16-24 août 1790, adoptée par l’Assemblée constituante et promulguée sous la Révolution française, demeure la clef de voûte du droit judiciaire républicain. Elle incarne les principes essentiels de la souveraineté populaire, de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de la justice et de l’élection des juges. Elle supprime les privilèges judiciaires de l’Ancien Régime, abolit les juridictions d’exception, met fin à la vénalité des charges, et établit une justice exercée par délégation du peuple, dans des formes claires, publiques et électives.

Son article premier, qui disposait initialement que « la justice sera rendue au nom du Roi », a naturellement été frappé de caducité après l’abolition de la monarchie le 21 septembre 1792. Il fut remplacé dans la Constitution du 24 juin 1793 par l’article 61, selon lequel :

« Les lois, les décrets, les jugements et tous les actes publics sont intitulés : Au nom du peuple français, l’an… de la République française. »

Cette nouvelle formule consacre un basculement fondamental dans la légitimation de l’acte de juger : désormais, la justice est rendue non plus au nom d’un souverain héréditaire, mais au nom du peuple souverain. Ce principe est concrètement mis en œuvre dans l’Instruction sur la procédure criminelle de 1791, qui précise :

« La justice criminelle est désormais rendue au nom du peuple français et par le peuple français. »

La loi de 1790 organise donc un système judiciaire fondé sur l’élection des juges — juges de paix, juges de district, juges de cassation — choisis par les citoyens pour des mandats définis. Le caractère électif et révocable de la magistrature garantit une justice directement contrôlée par le peuple. Cette structure ne peut être modifiée que par voie référendaire formelle, comme le prévoient les articles 115 à 118 de la Constitution de 1793.

Pourtant, depuis le XIXe siècle et surtout à partir de 1958, cette architecture a été progressivement démantelée sans jamais recueillir le consentement explicite du peuple français. Le point de rupture fut atteint avec l’ordonnance n°58‑1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, texte fondateur du système judiciaire actuel. Présentée comme une loi organique, cette ordonnance n’a jamais été ratifiée par le Parlement, ni prise dans les formes exigées par la Constitution du 4 octobre 1958.

Elle fut en réalité promulguée de manière unilatérale par le président du Conseil Charles de Gaulle, agissant sans habilitation législative valable, sans vote parlementaire, et en violation manifeste de l’article 10 de la Constitution de 1958, qui réserve la promulgation des lois — notamment des lois organiques — au président de la République, après adoption par le Parlement. Or, le Parlement issu de la Cinquième République n’était même pas encore installé au moment de la publication de cette ordonnance. Il ne peut donc s’agir ni d’une loi au sens constitutionnel, ni d’un texte légitime.

En outre, cette ordonnance ne relève pas de l’article 38 de la Constitution (ordonnances législatives prises en vertu d’une habilitation du Parlement) ; elle ne repose que sur le pouvoir réglementaire autonome, ce qui rend son exécution comme « loi organique » totalement inconstitutionnelle. C’est un acte de gouvernement, abusivement revêtu de la force normative d’une loi organique, en contradiction flagrante avec le principe de séparation des pouvoirs.

Cette violation procédurale dissimule une atteinte plus profonde encore : l’ordonnance de 1958 viole la loi des 16-24 août 1790 elle-même. En supprimant l’élection des juges, en organisant leur nomination par l’État, en les plaçant sous l’autorité hiérarchique du garde des Sceaux, elle détruit l’indépendance du pouvoir judiciaire. L’article 5 de l’ordonnance dispose explicitement :

« Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice. »

Ce modèle est incompatible avec le principe fondamental d’un pouvoir judiciaire indépendant, tel que formulé dès 1790. De plus, il confie le sort des carrières judiciaires au Conseil supérieur de la magistrature, lui-même placé sous influence exécutive, ce qui consacre la mainmise politique sur l’appareil judiciaire.

Mais cette subversion ne s’arrête pas à l’ordonnance. Elle s’inscrit dans une logique de rupture constitutionnelle : la Constitution du 4 octobre 1958 elle-même n’a pas été promulguée selon les règles établies par les constitutions antérieures. Elle résulte d’une double infraction à la légalité :

  1. la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 a violé l’article 90 de la Constitution de 1946 en confiant le pouvoir constituant à l’exécutif, ce qui est inconstitutionnel ;
  2. la loi n°58-520 du même jour, qui donnait au gouvernement des pleins pouvoirs, interdisait expressément toute intervention dans les matières judiciaires, électorales ou relevant des libertés fondamentales. Or, l’ordonnance 58-1270 viole toutes ces interdictions.

En parallèle, un acte d’une extrême gravité juridique a été commis : le décret n°78‑329 du 16 mars 1978, instituant la partie législative du Code de l’organisation judiciaire (COJ), a prétendu se substituer expressément à de nombreuses lois, dont le titre XII de la loi des 16-24 août 1790. Ce décret se fonde sur l’article 15 de la loi n°72‑626 du 5 juillet 1972 et invoque l’article 34 de la Constitution, mais n’a jamais fait l’objet d’une ratification parlementaire. Or, un décret — même pris après avis du Conseil d’État — ne peut pas abroger ou remplacer une loi. Cette opération constitue une fraude juridique manifeste.

La substitution d’un texte réglementaire à une loi législative viole gravement le principe de la hiérarchie des normes, l’article 1er de la Constitution de 1958, ainsi que le principe fondamental de légalité. Le pouvoir réglementaire ne peut intervenir dans le domaine de la loi, sauf habilitation expresse, temporaire, et contrôlée par le Parlement, ce qui n’était pas le cas ici. Le décret de 1978 est donc juridiquement nul et inopposable. La loi des 16-24 août 1790 n’ayant jamais été formellement abrogée par une loi, elle demeure en vigueur.

En conséquence, l’ordonnance de 1958 et le décret de 1978 incarnent un double coup d’État normatif : d’une part, contre la souveraineté populaire en imposant un pouvoir judiciaire désigné par l’exécutif ; d’autre part, contre la continuité juridique républicaine, en évacuant subrepticement une loi fondatrice de la République encore en vigueur. Ils consacrent une justice d’État, inféodée à l’administration centrale, au détriment de la justice du peuple instituée par la Révolution française.

Restaurer la légalité implique donc de revenir aux fondements oubliés de notre ordre juridique : la loi des 16-24 août 1790, toujours applicable, impose une justice indépendante, élue, exercée au nom du peuple souverain, et non dictée par un exécutif illégitime. Restaurer la légalité implique de reprendre appui sur les fondements inaltérables de notre ordre juridique républicain : la loi des 16-24 août 1790 et la Constitution du 24 juin 1793. Toujours en vigueur, ces deux textes établissent une justice indépendante, exercée par des magistrats élus, et rendue expressément au nom du peuple souverain et par le peuple français lui-même. Toute reconstruction de l’appareil judiciaire ne peut se concevoir qu’à partir de ces bases authentiques de la souveraineté populaire et du droit républicain. L’article 61 de cette Constitution impose que tous les actes publics — lois, jugements, décrets — soient rendus « au nom du peuple français », et l’Instruction sur la procédure criminelle de 1791 consacre une justice rendue par le peuple lui-même. Toute réforme judiciaire future qui ne partirait pas de cette base — celle de la souveraineté populaire effective — resterait frappée d’illégitimité.

La ratification populaire et la promulgation officielle

Adoptée par la Convention nationale après le dépôt du projet le 10 juin 1793, la Constitution du 24 juin fut imprimée et envoyée dans toutes les communes conformément aux articles 58 à 60 de l’Acte constitutionnel, puis soumise au vote « oui » ou « non » des assemblées primaires entre le 20 juin et le 2 août 1793 (article 19). Le dépouillement fit apparaître 1 801 918 voix favorables contre 11 610 opposants, soit une adhésion écrasante du corps électoral.

Dans sa séance du 30 juillet 1793, la Commission des Six présenta à la Convention nationale les résultats recueillis dans les cantons. Les noms de toutes les communes ayant voté « oui » furent énumérés, et l’unanimité des résultats fut saluée comme l’expression directe de la volonté du peuple français. Cette délibération est consultable dans les Archives parlementaires : séance du 30 juillet 1793.

Le 4 août 1793, la Convention nationale proclama officiellement l’adoption de la Constitution à la suite du dépouillement national, et ordonna sa proclamation solennelle dans toute la République. Voir : séance du 4 août 1793.

La Constitution fut ensuite publiée dans le Bulletin des lois, Tome XXXI, sous le titre Acte constitutionnel, précédé de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce qui constitue son acte officiel de promulgation. Le Bulletin des lois, créé par décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793), vit sa première parution le 22 prairial an II (10 juin 1794), consacrant un mode de publication unifié et normatif des actes législatifs. Dès lors, la Constitution acquiert force de loi sur tout le territoire et s’impose à tous les pouvoirs constitués. Aucun texte n’est venu, depuis cette publication, suspendre ni abroger la Constitution selon les procédures prévues dans le titre « Des Conventions nationales » (articles 115 à 118), de sorte qu’elle demeure valable de jure, en accord avec les principes de souveraineté populaire, de hiérarchie des normes et de continuité constitutionnelle.

Saint-Just, le décret du 19 vendémiaire an II et la portée de la Constitution de 1793

Lors de la séance des 18–19 vendémiaire an II (9–10 octobre 1793), Saint-Just, au nom du Comité de Salut public, fit adopter un décret dont l’article premier proclame : « Le gouvernement provisoire de la France est révolutionnaire jusqu’à la paix. » Le décret organise ensuite, par une série d’articles, des mesures d’exception — surveillance du Conseil exécutif par le Comité de Salut public, pouvoirs accrus pour l’exécution immédiate des lois révolutionnaires, réquisitions, dispositions sur les subsistances et l’approvisionnement, nomination des généraux, création d’organes spéciaux — visant à doter l’État des moyens d’action rapide nécessaires en temps de crise. Voir le texte original sur Gallica : Archives parlementaires — f.316 (déc. 10 oct. 1793).

Dans la même période, la Convention prononça la nullité de « l’acte du 29 mai » relatif à une Déclaration des droits, le déclarant « nul de plein droit » au motif qu’il n’avait pas été présenté à l’acceptation du peuple, et ordonna le retrait des exemplaires envoyés. Le procès-verbal correspondant figure sur Gallica : Archives parlementaires — f.277 (annulation de la DDHC du 29 mai).

Il faut souligner une nuance juridique essentielle : le décret du 19 vendémiaire ne formule pas textuellement la phrase « la Constitution est suspendue ». En revanche, en proclamant un gouvernement « révolutionnaire jusqu’à la paix » et en instituant des procédures et organes d’exception, la Convention a établi un régime dont les effets pratiques ont ajourné l’application normale des dispositions constitutionnelles relatives à l’organisation du pouvoir. Autrement dit, le texte produit un effet d’exception opérationnel sans constituer une abrogation formelle suivant la procédure interne de l’Acte lui-même.

Sur le plan juridique, la question de la continuité « de jure » de l’Acte constitutionnel du 24 juin 1793 demeure ouverte : la Convention d’octobre 1793 a empêché sa mise en œuvre effective par des mesures d’exception et a écarté certains textes concurrents (acte du 29 mai), mais il n’existe pas, dans les procès-verbaux consultés, de décret formulé suivant la procédure de l’Acte qui aurait solennellement abrogé la Constitution. Cette double réalité — ajournement pratique par régime d’exception et incertitude formelle sur l’abrogation — doit rester au centre de l’analyse.

La nullité des pouvoirs constitués non issus du peuple

Dans le cadre d’une suspension ou d’une suppression, il aurait fallu juridiquement que le peuple se prononce sur la destruction du système juridique en place, à savoir l’abolition du régime, comme pour le 21-22 septembre 1792. Le décret adopté à l’unanimité (Bulletin des lois, tome XXV, page 3) stipule clairement : « La royauté est abolie en France ». Or, un tel acte n’a jamais eu lieu s’agissant de la Constitution de 1793, qui n’a fait l’objet d’aucun référendum contraire ni d’aucun décret populaire d’abrogation. Par conséquent, toute prétendue suspension par la Convention ou par un organe constitué est inopposable au regard du droit public révolutionnaire. En vertu des principes intangibles de la Déclaration et de la Constitution de 1793, aucun changement constitutionnel ne peut être juridiquement valide sans consultation directe du peuple souverain. L’article 28 de la Constitution le proclame avec clarté : « Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. » De même, l’article Le texte lui-même proclame la supériorité de la Déclaration affirme que : « La souveraineté réside dans le peuple ; elle est une, indivisible, imprescriptible et inaliénable. »

Des preuves légales irréfutables dans les Bulletins révolutionnaires

Ce principe est renforcé par l’article 29 de la Déclaration des droits de 1793 : « La loi doit être l’expression de la volonté générale ; tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous. » Ces dispositions consacrent une vérité incontournable : aucun pouvoir, fût-il révolutionnaire, ne peut substituer sa volonté à celle du peuple souverain, ni s’arroger un droit de modification ou de suspension de l’ordre constitutionnel sans avoir été formellement investi à cet effet par la nation. Toute altération du droit constitutionnel sans l’expression explicite et référendaire de cette volonté est frappée de nullité absolue.

Le droit à l’insurrection et à la résistance à l’oppression

La conséquence juridique directe de ces dispositions est sans équivoque : aucun pouvoir constitué, y compris la Convention nationale elle-même, ne peut abolir, modifier ou suspendre la Constitution sans en référer au peuple par un acte formel, solennel et souverain. L’absence totale d’un tel acte constitue non seulement une rupture de légalité, mais une usurpation du pouvoir constituant, en violation flagrante de l’article 28 : « Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. » Par ailleurs, l’article 35 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 rappelle que : Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. Dès lors, toute suppression ou modification de la Constitution de 1793 devait impérativement être soumise à un référendum populaire équivalent à celui du 24 juin, dans les mêmes conditions de légitimité. À défaut, aucune suspension ne peut produire d’effet juridique opposable.

Les autres constitutions : illégitimes et inapplicables

Les preuves documentaires issues des Bulletins annotés des lois confirment que la Constitution de 1793 a été votée par le peuple, promulguée légalement, et utilisée par la Convention pour fonder l’adoption de nombreux décrets. Aucun acte d’abrogation ne fut jamais adopté. La Constitution resta donc formellement en vigueur, même si elle fut progressivement contournée par un pouvoir législatif usurpateur. Toute tentative de modification constitutionnelle par ce pouvoir constitué, hors procédure référendaire, est juridiquement nulle. L’article 28 de la Constitution en témoigne : « Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. » Le pouvoir constituant réside exclusivement dans le peuple. En l’absence de tout acte abrogatif dûment adopté selon les modalités référendaires prévues par la Constitution de 1793, celle-ci demeure en vigueur de jure au regard des principes de continuité constitutionnelle, de souveraineté populaire et de hiérarchie des normes révolutionnaires.

L’irrecevabilité de toutes les lois promulguées au nom d’un monarque

D’autres décrets fondateurs — comme ceux des 22 septembre 1792 (abolition de la royauté), 25 septembre 1792 (affirmation de l’unité républicaine) et 1er-2 juillet 1793 (criminalisation de la falsification de l’acte constitutionnel) — viennent confirmer la valeur légale impérative de la Constitution du 24 juin 1793. Le texte lui-même proclame la supériorité inaliénable du peuple. L’article 27 de la Déclaration des droits affirme avec force : « Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres. ». L’article 35 consacre explicitement le droit à l’insurrection : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Ces dispositions interdisent toute délégation durable du pouvoir ou toute confiscation de la souveraineté.

Le décret du 21 septembre 1792 : une norme toujours en vigueur

À l’inverse, la Constitution de 1791, rédigée sous le règne de Louis XVI, n’a jamais été soumise au vote du peuple et fut simplement « acceptée » par le roi, ce qui revient à une auto-ratification du pouvoir exécutif. Fondée sur un suffrage censitaire inégalitaire, elle intègre le roi au processus de promulgation des lois et tente d’équilibrer des pouvoirs en contradiction avec le principe même de souveraineté populaire. Abrogée de fait par l’insurrection du 10 août 1792 sans procédure légitime de révision, elle fut définitivement écartée par le décret du 21 septembre 1792 abolissant la royauté (Bulletin des lois, tome XXV, page 3). Dès lors, toute référence ultérieure à cette Constitution devient juridiquement irrecevable.

L’impossibilité de modifier ou suspendre la Constitution de 1793 en dehors de la procédure référendaire

La Constitution du 24 juin 1793 institue un cadre précis, intangible et impératif pour toute révision du pacte fondamental. L’article 115 du Titre X (« Des Conventions nationales ») prévoit que toute modification du texte constitutionnel ne peut intervenir qu’à l’initiative du peuple lui-même, par la convocation d’une Convention nationale extraordinaire. Cette convocation doit être décidée au préalable par les assemblées primaires, réunies en corps électoral souverain. La souveraineté ne se délègue pas : elle s’exerce directement, et exclusivement, par la volonté expresse du peuple.

Une fois la convocation décidée, les membres de la nouvelle Convention sont élus dans les mêmes conditions que ceux de la Convention précédente. Ils ont pour seule mission de statuer sur les modifications proposées. La validité de leurs décisions est subordonnée à une seconde ratification populaire. Ainsi, le processus de révision ou de refonte constitutionnelle suppose obligatoirement :

1. Une décision référendaire des assemblées primaires pour convoquer une nouvelle Convention ;
2. L’élection des membres de cette Convention ;
3. L’adoption éventuelle d’un nouveau texte ;
4. Sa ratification par le peuple dans les formes de l’article 115.

Toute autorité politique, assemblée législative ou gouvernement en place qui tenterait de réviser ou suspendre la Constitution en dehors de ce processus s’arrogerait un pouvoir qu’elle ne détient pas. Un tel acte constituerait une usurpation du pouvoir constituant, juridiquement nulle et sans effet. Il ne s’agit pas d’un simple formalisme : c’est le cœur du droit révolutionnaire, fondé sur la souveraineté directe du peuple.

Cette règle est renforcée par les articles 27 et 28 de la Déclaration des droits de 1793, qui interdisent expressément toute appropriation du pouvoir par un organe constitué et rappellent que le peuple peut à tout moment renverser tout gouvernement attentatoire à ses droits.

Il est donc juridiquement impossible, au regard du droit en vigueur en 1793, de suspendre, modifier ou remplacer cette Constitution sans suivre scrupuleusement la procédure référendaire prévue. Tout régime qui prétendrait s’imposer sans respecter cette exigence se place de fait en situation d’illégalité constitutionnelle absolue.

La falsification du décret du 18-19 vendémiaire an II

Ce principe fondamental trouve une confirmation antérieure et explicite dans le décret du 21 septembre 1792, par lequel la Convention nationale déclara : « 1° Qu’il ne peut y avoir de Constitution que celle qui est acceptée par le Peuple ; 2° Que les personnes et les propriétés sont sous la sauvegarde de la Nation. » Ce décret, toujours en vigueur, établit sans équivoque que toute légitimité constitutionnelle repose sur l’acceptation populaire. Il constitue un fondement normatif antérieur à la Constitution de 1793, consolidant l’idée que le peuple est le seul pouvoir constituant, et que toute charte fondamentale imposée sans cette acceptation est frappée de nullité.

La Constitution de l’an III : un coup d’État contre la souveraineté

Seul un référendum populaire, équivalent à celui du 24 juin 1793, pouvait juridiquement fonder une modification ou une abrogation de l’Acte constitutionnel de cette année-là. Toute tentative d’y déroger sans consultation populaire formelle, telle que définie par les articles 115 à 118 de ladite Constitution, constitue une violation manifeste du droit public révolutionnaire. Or, c’est précisément ce qui s’est produit en 1795.

Après avoir suspendu la mise en œuvre de la Constitution au nom d’un « gouvernement révolutionnaire » en octobre 1793, la Convention nationale — qui n’avait plus aucun mandat constituant — a conservé le pouvoir au-delà de sa légitimité. Elle s’est arrogé le droit de rédiger une nouvelle constitution, celle dite de l’an III (22 août 1795), sans avoir été convoquée à cet effet par le peuple, et sans respecter la procédure d’abrogation prévue par la Constitution de 1793.

Ce basculement anticonstitutionnel est le fruit d’un revirement politique radical. Après la chute des Montagnards en juillet 1794 (9 thermidor an II), la Convention fut dominée par les Thermidoriens : un groupe composite de députés modérés ou opportunistes, souvent anciens Girondins, soucieux de rompre avec la démocratie directe et de restaurer une forme de pouvoir bourgeois censitaire. Ce groupe, bien qu’ayant renversé Robespierre, n’avait reçu aucun mandat du peuple pour refonder les institutions.

Par le décret des 5 et 13 fructidor an III, cette Convention imposa que les deux tiers des membres du nouveau Corps législatif soient issus d’elle-même, verrouillant ainsi la transition politique en écartant toute alternance réelle. Loin d’un changement démocratique, cette manœuvre traduisait un refus explicite de rendre le pouvoir au peuple, et une volonté délibérée de maintenir au pouvoir une faction ayant confisqué la représentation nationale.

Le référendum organisé à la hâte pour ratifier cette nouvelle constitution ne saurait être considéré comme valable, ni du point de vue juridique, ni démocratique. Il fut orchestré par la même assemblée qui en était l’auteure, sans indépendance des pouvoirs, sans transparence du dépouillement, ni respect des conditions de sincérité du vote. Il ne peut donc être comparé au scrutin de 1793, fondé sur le suffrage universel masculin direct, les assemblées primaires cantonales et la ratification formelle au nom du peuple souverain.

L’ensemble du processus de 1795 doit dès lors être qualifié de coup d’État juridique et administratif, ou de hold-up constitutionnel, par lequel une minorité politique organisée a confisqué la souveraineté populaire, violé la hiérarchie des normes révolutionnaires, et supprimé sans droit la seule Constitution française intégralement ratifiée par le peuple souverain. Toute autorité prétendument constituée sur la base de cette rupture ne saurait produire le moindre effet souverain : elle repose sur une illégalité originaire, contraire à la Déclaration des droits de l’homme de 1793 et aux principes du droit public républicain.

Conclusion : un coup d’État militaire contre la souveraineté populaire

En 1795, après avoir renversé Robespierre et suspendu de fait la Constitution du 24 juin 1793, la Convention thermidorienne organise un changement de régime sans en référer au peuple souverain. Elle rédige un nouveau texte — la Constitution de l’an III — sans respecter les règles de révision prévues par les articles 115 à 118, ni convoquer d’assemblées primaires sur l’ensemble du territoire. Elle restaure le suffrage censitaire, impose par décret que les deux tiers des nouveaux législateurs soient issus de ses propres rangs, et met ainsi en place un verrouillage institutionnel antidémocratique.

Ce détournement du pouvoir constituant déclenche une révolte populaire à Paris, le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795). Face aux citoyens en armes venus défendre leur souveraineté, la Convention ordonne à l’armée de tirer sur la foule. Le général Bonaparte exécute l’ordre avec zèle, faisant mitrailler les insurgés. Ce massacre, rarement désigné pour ce qu’il est, marque pourtant un basculement radical : un coup d’État militaire contre le peuple. La souveraineté populaire, jusque-là affirmée dans le droit, est écrasée par la force des armes. Ce jour-là, la République cesse d’être l’expression du peuple pour devenir l’instrument d’une oligarchie protégée par l’armée.

La Constitution de l’an III, issue de cette trahison, ne peut revendiquer aucune légitimité. Elle n’a jamais été ratifiée librement, ni adoptée par référendum universel. Sa promulgation, scellée dans le sang des citoyens, invalide à jamais sa prétention à succéder à la Constitution de 1793.

Dès lors, toutes les constitutions postérieures — celles du Directoire, du Consulat, de l’Empire, des Républiques successives ou des monarchies constitutionnelles — reposent sur cette rupture fondatrice : l’élimination violente du pouvoir souverain du peuple. Aucune n’a été adoptée selon une procédure conforme au droit révolutionnaire, aucune n’a abrogé légalement la norme de 1793.

En conséquence, la Constitution du 24 juin 1793 demeure, en droit comme en fait, la seule norme fondamentale authentique, issue directement de la volonté populaire. Elle n’a jamais été légalement abrogée, suspendue ni remplacée selon les formes prescrites par elle-même. Son article 35, qui consacre le droit à l’insurrection contre tout gouvernement oppresseur, reste pleinement opposable.

Il appartient au peuple français, deux siècles plus tard, de tirer les conséquences de cette vérité juridique et historique : ce ne sont pas les constitutions écrites par les gouvernants qui fondent la légitimité, mais l’expression directe du suffrage populaire. La restauration de la souveraineté passe par la redécouverte, la réaffirmation et la mise en œuvre de la Constitution de 1793.

Extrait_du_procès-verbal_de_la_Convention_nationale_21_septembre_1792
Décret_de_la_Convention_abolissant_la_Royauté,_21_septembre_1792
Constitution-de-1793
république-1792
Constitution_de_1793

Une succession de coups d’État constitutionnels

Depuis 1791, l’histoire constitutionnelle française est jalonnée de ruptures illégales, de régimes imposés sans consentement populaire, et de manipulations institutionnelles opérées par le haut. À l’exception de la Constitution du 24 juin 1793, issue d’un véritable suffrage universel direct, toutes les constitutions postérieures furent le fruit de coups d’État politiques, militaires ou législatifs. Qu’il s’agisse de la monarchie constitutionnelle de 1791, des constitutions imposées par Napoléon, des restaurations monarchiques, ou encore des républiques installées par plébiscite ou manipulation législative, toutes ont été imposées sans respect de la souveraineté populaire.

Année Nom de la Constitution Forme de gouvernement Mode d'adoption Nature du changement Légitimité
1791 Constitution de 1791 Monarchie constitutionnelle Vote par l'Assemblée constituante Rupture avec l’absolutisme Illégitime : pas de référendum populaire
1793 Constitution de l’an I République démocratique Référendum populaire (1,8 M de OUI) République populaire, souveraineté directe Légitime : référendum universel masculin
1795 Constitution de l’an III Directoire Vote par la Convention, plébiscite restreint Contre-révolution contre 1793 Illégitime : contraire à 1793
1799 Constitution de l’an VIII Consulat (Bonaparte) Coup d’État du 18 Brumaire, plébiscite organisé Concentration du pouvoir (Bonaparte) Illégitime : usurpation militaire
1804 Constitution de l’an XII Empire (Napoléon Ier) Plébiscite Transformation du Consulat en Empire Illégitime : régime personnel
1814 Charte constitutionnelle Monarchie restaurée (Louis XVIII) Octroi par le roi, sans référendum Restauration monarchique post-napoléonienne Illégitime : sans consentement populaire
1830 Charte révisée Monarchie de Juillet (Louis-Philippe) Révision de la Charte par ordonnance Révision libérale mais monarchique Illégitime : absence de souveraineté populaire
1848 Constitution de 1848 Deuxième République Élection d'une Assemblée constituante Retour au suffrage universel Relativement légitime : élu par le peuple
1852 Constitution Second Empire (Napoléon III) Coup d’État du 2 décembre, plébiscite organisé Consolidation autoritaire du pouvoir impérial Illégitime : coup d’État constitutionnel
1875 Lois constitutionnelles Troisième République Adoption parlementaire sans référendum Stabilisation post-Commune Illégitime : élite parlementaire sans peuple
1946 Constitution Quatrième République Auto-ratifiée par le GPRF, référendum tronqué Usurpation du pouvoir constituant par le GPRF Illégitime : Coup d'Etat de De Gaulle
1958 Constitution Cinquième République Loi d’habilitation du 3 juin 1958, projet imposé par le gouvernement, référendum illégal Violation de l’article 90 de la Constitution de 1946 Illégitime : coup d’Etat de De Gaulle