Code général des impôts
Le Code général des impôts : une construction illégale et inconstitutionnelle
Sommaire
- 1948–1950 : Un processus vicié dès son origine
- 1950 : Le décret n°50-478 et la naissance irrégulière du CGI
- 1950–1958 : Une fiction normative perpétuée
- Après 1958 : la pérennisation d’une fiction législative
- 1960–1980 : L’extension incontrôlée d’un code sans fondement
- 1981 : La création du Livre des procédures fiscales (LPF)
- Depuis 2000 : un code toujours non consolidé, perpétuellement instable
- Extension de la fraude au Code général des impôts
- Conclusion
1948–1950 : Un processus vicié dès son origine
La loi du 17 août 1948 : une réforme sans habilitation constitutionnelle
Le Code général des impôts, tel qu’il est connu aujourd’hui, puise son origine dans un processus profondément irrégulier, engagé sous la IVe République, dès la fin des années 1940. Ce processus prend sa source dans la loi n°48-1268 du 17 août 1948, qui visait à moderniser la législation fiscale. Cette loi, bien qu’adoptée par le Parlement, ne saurait être considérée comme une habilitation constitutionnelle au sens de la Constitution du 27 octobre 1946. Celle-ci, en son article 13, stipulait avec clarté que l’Assemblée nationale votait seule la loi et ne pouvait déléguer ce droit, sauf dans des conditions strictement encadrées et expressément prévues. Or, la loi du 17 août 1948 n’instaure ni procédure d’ordonnance ni mécanisme de ratification. Elle se borne à autoriser le gouvernement à intervenir par décret pour mettre en œuvre une réforme technique des textes fiscaux, sans conférer à ces décrets la moindre force législative.
Le décret du 9 décembre 1948 et la loi du 31 décembre 1948 : une codification différée et irrégulière
Le décret n°48-1986 du 9 décembre 1948 constitue le premier texte prétendant instituer un « code général des impôts ». Publié au Journal officiel le 1er janvier 1949, il rassemble sous forme de compilation l’ensemble des dispositions fiscales alors applicables. Toutefois, ce code n’est pas publié comme un texte autonome : il apparaît uniquement en annexe du décret, confirmant sa nature administrative. Afin de donner à cette codification une valeur législative, l’article 15 de la loi de finances n°48-1974 du 31 décembre 1948 prévoit que « les dispositions du code général des impôts annexé au décret du 9 décembre 1948 auront force de loi », mais uniquement après leur mise en harmonie, par règlement d’administration publique, avec les dispositions du même décret portant réforme fiscale. Cette mécanique révèle une double irrégularité : d’une part, le Parlement s’est dessaisi de sa compétence exclusive en subordonnant l’entrée en vigueur d’une prétendue loi à une décision de l’exécutif, en violation de l’article 13 de la Constitution de 1946 ; d’autre part, le code annexé n’a jamais été promulgué de manière autonome comme une loi, ce qui prive d’effet juridique l’affirmation de sa valeur législative. Le prétendu Code général des impôts de 1948 n’a donc pas de base constitutionnelle ni législative solide.
L’article 15 de la loi du 31 décembre 1948 : une « légalisation » conditionnelle et inconstitutionnelle
L’article 15 de la loi de finances n°48-1974 du 31 décembre 1948 dispose que « les dispositions du code général des impôts annexé au décret du 9 décembre 1948 se substituent à celles des codes actuellement en vigueur », mais précise aussitôt que « la promulgation en sera différée jusqu’à ce qu’il ait pu être procédé, par règlement d’administration publique, à la mise en harmonie de l’ensemble du nouveau code avec ces dernières dispositions ». En d’autres termes, le Parlement a prétendu donner valeur législative à un texte annexé à un décret, tout en subordonnant cette entrée en vigueur à un futur règlement d’administration publique. Cette mécanique constitue une inversion flagrante de la hiérarchie des normes : une loi ne peut dépendre d’un décret pour exister. Elle traduit également une violation de l’article 13 de la Constitution de 1946, qui réservait au Parlement le monopole de la loi. En réalité, le « code général des impôts » de 1948 n’a jamais été promulgué comme une loi autonome, mais est resté un texte administratif dépourvu de véritable valeur législative.
L’article 274 et la question des délais : une caducité juridique certaine
L’article 274 du décret n°48-1986 du 9 décembre 1948 fixait un délai impératif : avant le 1er juillet 1949, il devait être procédé, par décrets, à la refonte complète des codes fiscaux pour les mettre en harmonie avec la réforme fiscale. Ce délai n’ayant pas été respecté, la disposition était caduque de plein droit dès le 1er juillet 1949. Toute tentative postérieure pour la réactiver était vouée à l’échec.
L’article 16 de la loi n°49-1033 du 31 juillet 1949, adopté trente jours après l’expiration du délai, a substitué la date du 31 octobre 1949 à celle du 1er juillet 1949. Mais en l’absence de disposition rétroactive expresse, une telle substitution ne pouvait ressusciter une règle déjà éteinte. De surcroît, ce texte se borne à renvoyer à des décrets pour fixer ses modalités d’application, ce qui revient à déléguer au gouvernement une compétence législative, en violation directe de l’article 13 de la Constitution de 1946. La loi du 31 juillet 1949 était donc à la fois tardive et inconstitutionnelle.
L’article 25 de la loi n°49-1641 du 31 décembre 1949 a prétendu reconduire l’article 274 du décret de 1948, tel que modifié par la loi du 31 juillet 1949, jusqu’au 31 janvier 1950. Mais cette reconduction ne pouvait porter que sur une disposition déjà morte juridiquement, ce qui la rend sans portée normative réelle. Plus grave encore, l’article 7 de la loi n°50-141 du 1er février 1950 a prorogé le délai jusqu’au 28 février 1950 en visant par erreur le décret n°48-1989, texte sans rapport relatif aux nantissements de récoltes outre-mer, au lieu du décret n°48-1986 portant réforme fiscale. Cette confusion n’est pas une simple coquille mais une véritable erreur d’objet : la loi renvoie à un texte inapplicable, ce qui la frappe de nullité. Enfin, l’article 16 de la loi n°50-388 du 2 avril 1950 a ajouté une ultime prorogation de huit jours à compter de sa promulgation, mais toujours sur une base déjà caduque, confirmant l’absurdité du montage législatif.
Conclusion : La chaîne de prorogations adoptées entre juillet 1949 et avril 1950 n’a fait que masquer artificiellement une caducité consommée dès le 1er juillet 1949. L’article 274 du décret de 1948 avait fixé un délai impératif, expiré sans retour possible. En multipliant les prorogations tardives, contradictoires ou erronées, le législateur et le gouvernement ont entretenu l’illusion d’une continuité juridique qui n’existait plus. La réforme fiscale fondée sur ce dispositif repose donc sur une base frauduleuse, inexistante en droit, ce qui entache d’illégalité l’ensemble de la codification fiscale postérieure.
1950 : Le décret n°50-478 et la naissance irrégulière du CGI
Un décret pris hors délai, sans ratification et sans valeur légale
Le 6 avril 1950, le gouvernement adopte le décret n°50-478, présenté comme un règlement d’administration publique annexant un « Code général des impôts » unifié. Derrière cette façade juridique se cache une irrégularité fondamentale : ce décret repose sur l’article 274 du décret n°48-1986 du 9 décembre 1948, lequel avait fixé au 1er juillet 1949 la date limite pour procéder à la refonte des codes fiscaux. Ce délai, impératif et non respecté, avait rendu la disposition caduque de plein droit. Toutes les prorogations législatives adoptées postérieurement – en juillet, décembre 1949 et février 1950 – étaient nulles, car un texte caduc ne peut être ressuscité sans rétroactivité expresse.
Pour tenter de justifier l’opération, le gouvernement invoque une série de lois de finances votées entre 1948 et 1950. Mais aucune ne contient d’habilitation explicite permettant de confier à l’exécutif la codification intégrale du droit fiscal, et aucune n’a adopté le texte du code annexé. Le « Code général des impôts » né en avril 1950 n’est donc qu’un décret réglementaire, pris hors délai et sans base législative régulière.
Trois décrets et un arrêté pour une codification artificielle
Le même jour, deux autres décrets et un arrêté viennent compléter l’opération. Le décret n°50-480 codifie les décrets en Conseil d’État (Annexe II au CGI), tandis que le décret n°50-481 refond les autres décrets ainsi que les dispositions réglementaires des anciens codes (Annexe III). Enfin, un arrêté signé par Edgar Faure, secrétaire d’État aux Finances, codifie les arrêtés ministériels d’application et constitue l’Annexe IV au CGI. En une seule journée, l’exécutif fabrique donc artificiellement un « code complet », doté d’une prétendue partie législative et de trois annexes réglementaires, sans que le Parlement n’ait été appelé à se prononcer.
Une décision politique délibérée
Ces textes portent les signatures de Georges Bidault, président du Conseil des ministres, de Maurice Petsche, ministre des Finances, et d’Edgar Faure, secrétaire d’État aux Finances. Déjà en 1948, le décret n°48-1986 avait été signé par Henri Queuille, accompagné des mêmes ministres. Cette continuité démontre qu’il s’agissait d’un projet gouvernemental assumé, et non d’une simple maladresse technique. L’exécutif a sciemment substitué son autorité à celle du Parlement pour imposer une codification fiscale en dehors de toute procédure constitutionnelle régulière.
Conclusion : la fraude codificatrice de 1950
En prétendant donner valeur législative à une codification édictée par décrets et arrêtés, le gouvernement a violé l’article 13 de la Constitution de 1946, qui confiait exclusivement à l’Assemblée nationale le droit de voter la loi, sans possibilité de délégation générale. La naissance du Code général des impôts en avril 1950 repose ainsi sur une fraude institutionnelle totale : un texte réglementaire imposé comme une loi, jamais ratifié par le Parlement, mais appliqué depuis lors comme s’il possédait force obligatoire. Cette origine viciée prive le CGI de toute légitimité constitutionnelle et législative et contamine l’ensemble de la construction fiscale postérieure.
1950–1958 : Une fiction normative perpétuée
Une absence totale de ratification sous la IVe République
De 1950 à 1958, aucun texte législatif n’est venu réparer l’irrégularité initiale de la naissance du Code général des impôts. Le Parlement n’a jamais adopté formellement le CGI, ni validé rétroactivement son annexion au décret n°50-478 du 6 avril 1950. Pourtant, l’administration fiscale et les juridictions ont continué à l’appliquer comme s’il s’agissait d’un texte législatif en vigueur. Les lois de finances successives ont même modifié des articles du CGI, comme si ce dernier avait une existence légale, ce qui a entretenu l’illusion d’une codification régulière. En réalité, il s’agissait d’un corpus réglementaire dépourvu de base législative, dont l’utilisation reposait uniquement sur une pratique coutumière de fait, totalement étrangère au droit positif. Le pouvoir exécutif s’est ainsi arrogé, durant toute la IVe République, la maîtrise de l’édifice fiscal en contournant le rôle constitutionnel du Parlement, en violation de l’article 13 de la Constitution de 1946.
Une reconduction tacite et anticonstitutionnelle à l’avènement de la Cinquième République
En octobre 1958, lors du passage à la Cinquième République, le Code général des impôts aurait dû être réexaminé et régularisé. Mais aucune mesure de ratification n’a été prise. Le CGI, construit sur un décret frappé de caducité et jamais validé par le Parlement, a été tacitement reconduit comme s’il avait force de loi. Les réformes fiscales postérieures ont continué à s’appuyer sur ce socle inexistant, aggravant l’irrégularité originelle. Cette reconduction est en contradiction directe avec l’article 34 de la Constitution de 1958, qui réserve au législateur la compétence exclusive pour fixer l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement de l’impôt. Ainsi, l’illégalité née en 1950 n’a jamais été corrigée, et l’ensemble du système fiscal français demeure fondé sur une fiction normative dépourvue de légitimité constitutionnelle et législative.
Après 1958 : la pérennisation d’une fiction législative
Le basculement sous la Cinquième République : une fraude constitutionnelle prolongée
La Constitution du 4 octobre 1958 a été présentée comme un retour à l’ordre juridique et à la séparation des pouvoirs. En apparence, son article 34 réservait au Parlement la compétence exclusive pour fixer « l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures », tandis que son article 38 encadrait l’usage des ordonnances. Mais cette restauration affichée de la légalité était illusoire : dès son origine, la Cinquième République a trahi les principes qu’elle prétendait consacrer, en tolérant et en prolongeant la fiction du Code général des impôts né d’un décret irrégulier en 1950. Au lieu de rétablir le respect du consentement à l’impôt, le nouveau régime a permis à l’exécutif de conserver un pouvoir normatif exorbitant en matière fiscale, au détriment du Parlement.
Dans ce contexte, le CGI n’a jamais été régularisé. Loin de réaffirmer le principe fondamental du consentement à l’impôt, garanti par l’article 20 de la Déclaration de 1793 — selon lequel « nulle contribution ne peut être établie que pour l’utilité générale » et que « tous les citoyens ont le droit d’en surveiller l’emploi » — la Ve République a consolidé un édifice fiscal dépourvu de tout fondement législatif. Le CGI s’est ainsi maintenu comme une fiction normative, incompatible avec la souveraineté populaire et avec l’État de droit.
La codification indirecte : un procédé inconstitutionnel
Au lieu de remédier à l’irrégularité originelle du CGI hérité de 1950, la Cinquième République a choisi de prolonger cette fiction juridique. Dès la loi n°59-1454 du 26 décembre 1959, instituant l’impôt sur le revenu, le législateur recourt à un procédé dit de « codification indirecte » : les dispositions essentielles sont renvoyées à des états annexés (A à K), puis incorporées dans le Code général des impôts par simple décret, sans qu’aucun vote article par article ne soit organisé. L’article 106 de la loi de finances pour 1960 entérine ce mécanisme en prévoyant que « sera procédé par décrets ou décrets en Conseil d’État à la mise en harmonie des dispositions du Code général des impôts avec celles de la présente loi ».
Ce procédé, directement hérité des anciens décrets-lois de la IIIᵉ et de la IVᵉ République, est radicalement contraire à la Constitution de 1958. Celle-ci interdit toute délégation générale au profit de l’exécutif et n’autorise que la procédure encadrée de l’article 38 relative aux ordonnances, avec habilitation limitée dans le temps et ratification expresse par le Parlement. En permettant à l’administration d’intégrer elle-même les dispositions fiscales dans le CGI, sans véritable adoption parlementaire, l’article 106 de la loi de finances pour 1960 a instauré une pratique manifestement inconstitutionnelle, qui a contaminé l’ensemble du droit fiscal français. Ainsi, l’impôt moderne sur le revenu repose, non sur une loi régulièrement votée, mais sur une codification administrative, en violation flagrante du principe de consentement à l’impôt.
Une inconstitutionnalité d’une ampleur colossale
La pratique de la codification indirecte a produit des effets dévastateurs. L’ensemble du titre I de la loi de finances pour 1960, qui institue l’impôt sur le revenu des personnes physiques et supprime presque totalement l’ancien système cédulaire, n’a pas été adopté par un vote parlementaire article par article : il a été incorporé au Code général des impôts par voie purement réglementaire, en 1960–1961. Des dispositions essentielles, comme l’actuel article 156 CGI définissant l’assiette de l’impôt sur le revenu, reposent donc non sur une loi régulièrement votée, mais sur une codification administrative. Ce vice d’origine entraîne une inconstitutionnalité massive : des lois ultérieures, en croyant modifier le CGI, n’ont fait qu’amender un texte réglementaire. L’ensemble du système fiscal repose ainsi sur un enchevêtrement illisible, où une grande partie du CGI conserve en réalité valeur de décret et non de loi. Loin d’être une simple fragilité technique, il s’agit d’un vice fondamental qui prive d’assise législative la principale source de financement de l’État.
Les conséquences constitutionnelles
On peut identifier trois niveaux distincts d’inconstitutionnalité. Premièrement, celui de la loi de finances pour 1960, dont l’article 106 a prévu que la mise en harmonie du Code général des impôts serait effectuée par décrets. Une telle délégation est formellement interdite depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958, qui n’autorise le gouvernement à intervenir dans le domaine de la loi qu’à travers la procédure encadrée de l’article 38 relative aux ordonnances, avec ratification obligatoire par le Parlement. Deuxièmement, celui des lois ultérieures qui ont prétendu modifier le CGI comme s’il s’agissait d’un texte législatif, alors que le code de 1950 n’était qu’un décret réglementaire jamais ratifié. Le Parlement a donc, en réalité, modifié un simple texte administratif en croyant amender une loi, ce qui constitue une confusion manifeste des sources du droit. Troisièmement, celui du CGI lui-même, qui demeure fondamentalement de nature réglementaire malgré son apparence législative, puisqu’aucune adoption régulière ni publication consolidée n’a jamais eu lieu au Journal officiel. Ce triptyque révèle une insécurité juridique permanente : le système fiscal français repose sur un code d’origine irrégulière, maintenu par des pratiques de codification indirecte et des incorporations administratives, mais jamais validé par un vote parlementaire conforme. Tant qu’une refonte complète, par voie législative ou par ordonnance ratifiée, n’aura pas été opérée, le CGI restera une fiction juridique inopposable au regard des principes constitutionnels et démocratiques.
Une menace permanente sur le consentement à l’impôt
Ce vice originel n’est pas purement théorique. Il met directement en cause le principe du consentement à l’impôt, garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, dont l’article 20 proclame que « nulle contribution ne peut être établie que pour l’utilité générale » et que « tous les citoyens ont le droit de concourir à l’établissement des contributions, d’en surveiller l’emploi et de s’en faire rendre compte ». Le fait que l’impôt repose sur un code fabriqué par l’exécutif en dehors de toute procédure régulière mine la sincérité du débat démocratique et détruit l’égalité devant l’impôt. Même en se plaçant dans le cadre contestable de la Constitution de 1958, le Code général des impôts viole l’article 34, qui réserve exclusivement au Parlement la compétence de fixer l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions. Ainsi, quel que soit le référentiel adopté – la souveraineté populaire de 1793 ou le droit positif de 1958 – le CGI demeure une fiction juridique, inopposable aux citoyens et dépourvue de toute légitimité constitutionnelle.
La nécessité d’une refonte complète
Le Code général des impôts n’est pas simplement fragilisé : il est entaché d’illégalité depuis sa création et n’a jamais acquis la moindre valeur législative authentique. Deux tiers de ses dispositions seraient aujourd’hui censurées si elles étaient examinées par le Conseil constitutionnel au regard de l’intelligibilité de la loi et du respect de l’article 34 de la Constitution. Une adoption en bloc du CGI dans son état actuel serait immédiatement déclarée inconstitutionnelle, tant son fondement est vicié. La seule voie conforme à l’État de droit consisterait en une refonte intégrale, adoptée par une loi régulièrement votée ou par une ordonnance habilitée et ratifiée par le Parlement. En l’absence d’une telle régularisation, le système fiscal français demeure une fiction législative, dépourvue de légitimité et inopposable au regard des principes constitutionnels.
L’article 11 de la loi du 1ᵉʳ mars 1951 : l’instrument d’une fraude normative continue
Un autre mécanisme, encore plus contestable, a été mis en place pour alimenter artificiellement le Code général des impôts : l’article 11 de la loi n°51-247 du 1ᵉʳ mars 1951. Cette disposition autorisait, sous la IVᵉ République, l’intégration dans le CGI de textes législatifs ou réglementaires par voie de décret, sans qu’il soit nécessaire que ces textes soient expressément mentionnés ou adoptés par le Parlement. Présentée comme une simple mesure technique de consolidation, cette habilitation a en réalité ouvert la voie à une véritable fraude normative.
Le Conseil d’État, dans un avis du 21 février 2021, a reconnu que « les dispositions fiscales issues de lois dont l’incorporation dans le Code général des impôts a été réalisée par des décrets pris sur le fondement de l’habilitation issue de l’article 11 de la loi n°51-247 du 1ᵉʳ mars 1951 ne peuvent être regardées comme ayant été abrogées par celles qui en reprennent la substance au sein de ce code ». Autrement dit, même lorsque ces dispositions sont reprises, modifiées ou redéployées dans de nouveaux textes, leur incorporation ne vaut pas abrogation : elles continuent donc d’exister et de produire effet en parallèle, créant un enchevêtrement normatif incontrôlable.
Ce dispositif est la marque d’une fraude législative délibérée. D’une part, il permet à l’administration fiscale de maintenir en vigueur des règles obsolètes ou redondantes, invisibles pour le contribuable, en violation du principe de sécurité juridique. D’autre part, il repose sur une loi de 1951 adoptée sous la IVᵉ République, antérieure à la Constitution de 1958 et jamais reconduite. Or, depuis 1958, l’article 34 de la Constitution réserve exclusivement au Parlement la compétence de fixer les règles fiscales, et l’article 38 encadre strictement toute délégation au profit de l’exécutif. En s’appuyant sur l’article 11 de la loi de 1951, le gouvernement a donc perpétué un mécanisme caduc et anticonstitutionnel.
Ce stratagème de camouflage normatif a permis à l’État de prolonger indéfiniment l’application de lois d’un régime disparu, sous couvert d’une codification technique, tout en contournant les garanties démocratiques du consentement à l’impôt. L’article 11 de la loi du 1ᵉʳ mars 1951 apparaît ainsi comme l’instrument central d’une fraude normative continue, incompatible avec l’État de droit et la hiérarchie constitutionnelle des normes.
Un code sans publication consolidée ni valeur légale reconnue
Jusqu’à aujourd’hui, le Code général des impôts n’a jamais été publié sous une forme consolidée, complète et authentifiée au Journal officiel. Les seules versions existantes sont des recueils administratifs édités par la Direction générale des finances publiques ou par des éditeurs privés, sans valeur légale autonome. Leur autorité tient à une pratique administrative, non à une promulgation régulière par la représentation nationale.
En droit, deux grilles de lecture permettent de mesurer cette illégalité. D’une part, selon les principes de la Constitution de 1793, seule la publicité directe et intégrale des lois auprès du peuple leur confère force obligatoire, condition jamais remplie par le CGI. D’autre part, même si l’on adopte la règle issue du coup d’État napoléonien de 1804, à savoir l’article 1er du Code civil disposant que « les lois sont exécutoires après leur publication au Journal officiel », le CGI demeure irrégulier : jamais publié sous une forme consolidée et complète, il n’a jamais acquis force obligatoire. Dans les deux cas, il s’agit d’un texte fantôme, appliqué sans jamais avoir rempli les conditions de validité formelles exigées par la hiérarchie des normes.
1960–1980 : L’extension incontrôlée d’un code sans fondement
L’ère des lois de finances et de la confusion normative
À partir de 1960, la fiscalité française connaît une expansion rapide avec l’introduction de l’impôt sur le revenu, la généralisation de la TVA et la multiplication de dispositifs sectoriels. Mais cette mutation ne s’accompagne d’aucune clarification juridique : au lieu d’adopter de nouvelles lois fiscales cohérentes, le Parlement se contente d’insérer ou de modifier, par voie de lois de finances, des articles dans le Code général des impôts, alors même que ce dernier n’a jamais été valablement adopté. Ce procédé de codification indirecte consiste à renvoyer à des annexes ou à des décrets pour « mettre en harmonie » le code avec la loi, sans que le texte modifié ne soit repris dans le corps même de la loi votée. Le résultat est un empilement de strates normatives, où se superposent des dispositions issues d’un décret caduc de 1950 et des apports ponctuels de lois budgétaires, sans jamais de validation globale par la représentation nationale.
Une jurisprudence complice et une administration toute-puissante
Durant ces deux décennies, aucune des hautes juridictions – ni le Conseil constitutionnel, pourtant gardien de l’article 34 de la Constitution, ni le Conseil d’État, chargé du contrôle de la légalité – n’a osé remettre en cause la validité du CGI. Par leur silence, elles ont cautionné la perpétuation d’un code fantôme, pourtant contraire aux principes élémentaires de la hiérarchie des normes. Dans le même temps, l’administration fiscale a accru ses prérogatives en s’érigeant en véritable législateur parallèle : elle produit et diffuse des circulaires, instructions et versions « mises à jour » du CGI qui s’imposent de fait aux contribuables, sans base légale authentifiée. Le citoyen se retrouve prisonnier d’un système où la loi fiscale est insaisissable, mouvante, et essentiellement contrôlée par l’administration elle-même, en violation flagrante du principe démocratique du consentement à l’impôt.
1981 : La création du Livre des procédures fiscales (LPF)
En 1981, le gouvernement procède à une nouvelle opération de codification en adoptant le décret n°81-859 du 15 septembre 1981, qui institue le Livre des procédures fiscales (LPF). Officiellement présenté comme une mesure de simplification et de clarification, ce texte détache du Code général des impôts l’ensemble des règles de procédure – contrôle, recouvrement, contentieux – pour les rassembler dans un corpus distinct. Mais derrière cette apparente rationalisation se cache une nouvelle illégalité structurelle : le LPF, comme le CGI dont il est issu, n’a jamais fait l’objet d’une adoption par la représentation nationale.
Le décret de 1981 n’était fondé sur aucune loi d’habilitation régulière. Il ne s’inscrivait pas dans le cadre d’une ordonnance conforme à l’article 38 de la Constitution de 1958, et il n’a jamais été ratifié par le Parlement. À l’instar du CGI de 1950, le LPF n’est donc qu’un texte réglementaire, privé de toute valeur législative authentique. Sa prétendue autorité repose uniquement sur l’usage administratif et sur la soumission contrainte des contribuables, non sur une base constitutionnelle ou législative.
Plus encore, cette opération a aggravé l’opacité du système fiscal. D’une part, en séparant artificiellement le droit substantiel (le CGI) et le droit procédural (le LPF), le gouvernement a renforcé la complexité et la technicité d’un système déjà illisible. D’autre part, la création du LPF a permis de masquer l’illégalité originelle du CGI en donnant l’illusion d’un corpus en évolution continue et consolidé. En réalité, on a scindé un code fantôme pour produire deux codes fantômes, tous deux dépourvus de valeur légale opposable.
La fraude est d’autant plus manifeste que le LPF a servi de support à la multiplication de nouvelles procédures coercitives – saisies fiscales, contraintes, majorations automatiques – toutes introduites par voie réglementaire et appliquées comme si elles avaient force de loi. Loin d’être une simple « réorganisation technique », la création du LPF a institutionnalisé l’illégalité du système fiscal français en consolidant un double corpus de textes sans ratification parlementaire et en violation directe de l’article 34 de la Constitution, qui réserve exclusivement au législateur la compétence en matière fiscale.
Depuis 2000 : un code toujours non consolidé, perpétuellement instable
L’ère du BOFiP : la codification sans publication légale
Depuis 2012, l’administration fiscale a franchi une nouvelle étape avec la création du BOFiP (Bulletin Officiel des Finances Publiques – Impôts). Présenté comme la référence officielle du droit fiscal français, ce portail numérique regroupe l’ensemble des commentaires, circulaires et mises à jour du Code général des impôts. Désormais, l’accès au droit fiscal repose essentiellement sur cette base documentaire exclusivement gérée par la Direction générale des finances publiques. Mais le BOFiP ne possède aucune valeur législative, ni même réglementaire : il ne s’agit que d’une doctrine interne de l’administration, dépourvue de force obligatoire sauf lorsqu’elle est invoquée au bénéfice du contribuable (article L.80 A du LPF). Aucune de ses dispositions n’est publiée au Journal officiel ni adoptée par voie parlementaire. La prétendue « codification » opérée par le BOFiP ne repose que sur l’usage administratif, prolongeant ainsi la fiction normative initiée en 1950.
La LOLF : un cadre budgétaire qui ne régularise pas le CGI
Depuis 2001, la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) est censée moderniser et encadrer le droit budgétaire, en renforçant le contrôle parlementaire et la transparence des finances publiques. Mais cette réforme, si importante soit-elle pour l’organisation du budget de l’État, ne corrige en rien les vices fondamentaux du Code général des impôts. La LOLF ne constitue ni une validation rétroactive du CGI, ni une codification régulière de la matière fiscale. Elle organise la présentation et l’exécution des finances publiques, mais laisse intacte la question essentielle : l’impôt continue d’être prélevé sur la base d’un code jamais consolidé, jamais ratifié, et dépourvu de toute légitimité constitutionnelle. En ce sens, la LOLF illustre la stratégie de l’État : renforcer son appareil de gestion budgétaire sans jamais assainir le fondement juridique de la fiscalité.
→ Voir la loi organique relative aux lois de finances
Une fiction juridique entretenue par inertie et par intérêt
Malgré ces vices profonds et persistants, l’État continue d’exiger des contribuables qu’ils se conforment à un code dont la légitimité n’a jamais été établie. Cette situation ne résulte ni d’un oubli, ni d’un vide juridique accidentel : elle est le fruit d’une stratégie consciente de l’administration fiscale visant à préserver un pouvoir d’action élargi, affranchi des contraintes parlementaires. En entretenant cette fiction normative, les autorités fiscales échappent au contrôle démocratique et institutionnel, tout en imposant des obligations d’une rigueur extrême aux citoyens.
Une telle situation viole directement l’article 20 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, qui affirme que « nulle contribution ne peut être établie que pour l’utilité générale » et que « tous les citoyens ont le droit de concourir à l’établissement des contributions, d’en surveiller l’emploi et de s’en faire rendre compte ». Or, non seulement le Code général des impôts n’a jamais été établi ni validé par la représentation nationale, mais encore il prive les citoyens de leur droit à participer à la définition de l’impôt, à contrôler sa légalité et à exiger la reddition des comptes. Loin de respecter le principe de souveraineté populaire, le CGI en constitue la négation la plus flagrante.
Extension de la fraude au Code général des impôts (CGI)
Le mécanisme d’incorporation par décret ne se limite pas au Livre des procédures fiscales. Comme pour ce dernier, il s’applique également au Code général des impôts (CGI), qui constitue pourtant le texte de référence fixant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impôts et taxes. Or, selon l’article 34 de la Constitution, ces matières relèvent exclusivement de la compétence du législateur et doivent être adoptées par une loi votée en séance publique.
Pourtant, chaque année, le gouvernement publie des décrets « portant incorporation au Code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code ». Le plus récent est le décret n° 2025-737 du 31 juillet 2025, qui a directement modifié les articles 302 bis ZG et 1613 ter du CGI. Comme pour le LPF, ce décret, et tous ceux qui l’ont précédé, s’appuient sur l’article 11 de la loi n° 51-247 du 1er mars 1951, texte de la IVe République totalement obsolète et incompatible avec la Constitution de 1958.
Ce procédé est anticonstitutionnel à double titre : d’une part, il permet à l’exécutif de modifier par décret des dispositions qui relèvent du domaine législatif ; d’autre part, il prive les citoyens de leur droit fondamental au consentement à l’impôt garanti par l’article 20 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, selon lequel « nulle contribution ne peut être établie que pour l’utilité générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir à l’établissement des contributions, d’en surveiller l’emploi, et de s’en faire rendre compte ».
La fraude est donc systémique : non seulement les procédures fiscales (LPF), mais également la substance même de l’impôt (CGI) reposent sur des bases juridiques inexistantes. En conséquence, chaque prélèvement fiscal opéré sur la base du CGI est entaché d’illégalité, puisque son fondement repose sur des incorporations réglementaires abusives, effectuées en violation de la séparation des pouvoirs et de la hiérarchie des normes.
Conclusion : un code fiscal sans fondement, inopposable en droit
Le Code général des impôts, censé incarner la légalité de l’impôt en France, repose en réalité sur une construction juridiquement viciée depuis son origine. Né d’un décret illégalement pris en 1950, hors délai, sans habilitation parlementaire ni ratification régulière, le CGI n’a jamais été adopté comme une loi en bonne et due forme. Ses évolutions ultérieures n’ont fait qu’aggraver l’irrégularité : codification indirecte, renvois aux lois de finances, incorporation par décrets ou annexes administratives, jamais consolidés ni publiés intégralement au Journal officiel. Ce corpus demeure une fiction normative, appliquée par inertie et par intérêt, en contradiction directe avec les principes de l’État de droit.
Une telle situation viole frontalement le principe fondamental énoncé par l’article 20 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 : « Nulle contribution ne peut être établie que pour l’utilité générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir à l’établissement des contributions, d’en surveiller l’emploi et de s’en faire rendre compte. » Or, le CGI prive le peuple de son droit à consentir à l’impôt, à contrôler sa légalité et à exiger la reddition des comptes. Il substitue la volonté administrative au consentement national, transformant l’impôt en instrument de contrainte plutôt qu’en expression de la souveraineté populaire.
En conséquence, le Code général des impôts ne saurait être opposé aux citoyens comme une loi légitime. Sa nullité constitutionnelle est patente, et son application constitue une violation continue des droits fondamentaux. La seule voie conforme à la Constitution de 1793 et au principe de souveraineté est l’abrogation de ce code frauduleux et la reconstruction, par le peuple lui-même, d’un véritable droit fiscal fondé sur la légalité, la transparence et le consentement.
