Auto ratification de Charles de Gaulle
Contexte
Du 11 juin 1958 au 8 janvier 1959, 335 décrets dénommés « Ordonnances » sont pris par Charles de Gaulle, alors Président du Conseil des ministres. Ces textes s’appuient sur la loi n° 58-520 du 3 juin 1958 qui octroie, dans un contexte de crise, des pleins pouvoirs au gouvernement pour une durée limitée et sous réserve de ratification parlementaire. Or, cette ratification n’a jamais eu lieu.
Les ordonnances édictées entre le 11 juin et le 3 octobre 1958 s’inscrivent dans le cadre de cette loi d’habilitation. Toutefois, après la promulgation de la Constitution du 4 octobre 1958, deux ordonnances du 7 octobre (n° 58-923 et 58-928) continuent à invoquer la loi du 3 juin comme fondement juridique, en dépit de l’entrée en vigueur d’un nouveau régime constitutionnel, créant un conflit de normes manifeste.
Entre le 9 octobre et le 10 novembre 1958, 23 autres ordonnances sont prises sur le double fondement de la Constitution nouvelle et de la loi 58-520, marquant ainsi une confusion volontaire entre les régimes juridiques. Ce chevauchement ne repose sur aucune base légale explicite et viole les principes élémentaires de hiérarchie des normes.
Enfin, aucune de ces ordonnances n’a été déposée à l’Assemblée nationale — suspendue depuis le 3 juin 1958 — contrairement aux exigences de la loi du 3 juin 1958. Elles ne sont pas non plus signées par le Président de la République, condition indispensable à leur validité législative. Dès lors, ces textes, bien que publiés au Journal officiel, sont dépourvus de toute valeur normative conforme à la Constitution.
Le recours à l’article 92 de la Constitution du 4 octobre 1958, qui autorise exceptionnellement le gouvernement à prendre des mesures par ordonnance, ne saurait être invoqué pour justifier cette dérive. En effet, cet article, inséré dans la nouvelle Constitution, contredit frontalement la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, qui limitait strictement les modalités de révision constitutionnelle. Cet ajout unilatéral constitue un excès de pouvoir manifeste.
Cette auto-ratification, incarnée par l’ordonnance n° 58-1171 du 5 décembre 1958, consacre donc une rupture assumée avec l’État de droit. Elle entérine l’idée que le pouvoir exécutif peut se substituer au pouvoir législatif en toute impunité, inaugurant une pratique autoritaire sous des dehors légalistes, au mépris des garanties constitutionnelles promises au peuple français.
Auto-ratification des ordonnances : une violation manifeste du droit constitutionnel
Le 5 décembre 1958, en pleine transition institutionnelle, l'Ordonnance n° 58-1171 est prise par Charles de Gaulle, alors président du Conseil, pour ratifier les ordonnances précédemment édictées entre le 11 juin et le 10 novembre 1958. Ce texte, pourtant présenté comme une formalité juridique, consacre un contournement des principes fondamentaux de l’État de droit et marque l’officialisation d’un pouvoir sans contrôle parlementaire.
Cette ordonnance se donne pour but de ratifier des textes antérieurement promulgués sans validation législative, alors même que la Constitution du 4 octobre 1958 venait d’entrer en vigueur. Le paradoxe est flagrant : elle valide des textes promulgués avant l’entrée en vigueur de la Constitution, tout en se prévalant de cette même Constitution pour leur conférer rétroactivement une valeur législative. Plus encore, l’acte de ratification émane du président du Conseil, sans que le Parlement, pourtant seul détenteur du pouvoir législatif selon l’article 34 de la Constitution, n’ait été saisi.
À cette époque, l’Assemblée nationale est suspendue depuis le 3 juin 1958. Or, la loi n° 58-520 du 3 juin 1958, base juridique revendiquée de ces ordonnances, exigeait expressément qu’elles soient déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale à l’issue du délai prévu. Cette obligation n’a jamais été respectée. En l’absence de dépôt et de ratification parlementaire, ces ordonnances ne pouvaient légalement acquérir force de loi. Les conditions formelles exigées par la loi ont donc été délibérément écartées.
Loi n° 58-520 du 3 juin 1958 : une dérive fondatrice
La loi n° 58-520 du 3 juin 1958 a été adoptée dans un contexte de crise, conférant au gouvernement investi par le général de Gaulle un pouvoir exceptionnel de révision constitutionnelle. Ce texte prévoyait explicitement que les ordonnances seraient soumises à ratification parlementaire et respecteraient cinq principes fondamentaux, notamment la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. En pratique, ces garde-fous ont été ignorés.
La loi autorisait le recours à des ordonnances, à condition que celles-ci soient limitées dans le temps (six mois) et validées par le Parlement. Or, l’ordonnance n° 58-1171, comme d’autres de cette période, a été promulguée sans ratification législative, ni même dépôt au bureau de l’Assemblée. Cette entorse manifeste invalide leur valeur normative au regard même de leur propre texte d’habilitation.
En outre, cette loi n’autorisait en rien la promulgation d’une Constitution entièrement nouvelle : elle ne permettait qu’une révision dans les cadres de la Constitution de 1946. Le basculement vers un nouveau régime, fondé sur un pouvoir exécutif renforcé, n’a jamais été autorisé explicitement par la loi du 3 juin. Ce glissement autoritaire a été entériné par l’usage abusif de l’article 92 de la Constitution de 1958, ajouté postérieurement et sans base légale préalable.
La loi n° 58-520, loin d’être un fondement juridique solide, a servi de prétexte à une rupture de la légalité républicaine. Elle a été instrumentalisée pour permettre un coup de force institutionnel, en contradiction flagrante avec les engagements démocratiques qui auraient dû encadrer la transition. Dès lors, toutes les ordonnances prises sur son fondement, et notamment celles validées par l’ordonnance n° 58-1171, souffrent d’une illégalité originelle qui les rend nulles et non avenues.
La liste exhaustive des 335 ordonnances concernées par cette auto-ratification est disponible en consultation publique. Pour préserver la lisibilité de cette page tout en assurant un accès transparent aux textes incriminés, vous pouvez retrouver leur inventaire complet sur Wikipédia :