Constitutions: une succession de coups d’État

Constitutions françaises : Deux siècles de falsifications et de ruptures illégales

Depuis plus de deux siècles, la France prétend s'appuyer sur des constitutions démocratiques, républicaines, garantes de l'État de droit. Pourtant, derrière l'apparence de la légalité, une analyse rigoureuse révèle une réalité bien différente : celle d’une succession de ruptures institutionnelles dissimulées, de textes jamais promulgués régulièrement, de référendums biaisés, et de régimes imposés par la ruse ou la force.

La Constitution de 1958, souvent présentée comme le socle de la Cinquième République, constitue en réalité l’aboutissement d’un coup d’État juridique, organisé en dehors de toute légitimité populaire. Ce texte, rédigé par le gouvernement de Charles de Gaulle, n’a pas été adopté dans le respect des principes constitutionnels de 1946, ni promulgué comme une véritable loi de révision. Il marque la confiscation définitive du pouvoir constituant au profit de l’exécutif.

Cette page examine la légalité de cette prétendue Constitution et, au-delà, revient sur les principales constitutions françaises adoptées depuis 1791, en démontrant que la souveraineté populaire a été, dans la quasi-totalité des cas, bafouée ou contournée. Il ne s’agit pas d’un simple débat historique, mais d’un enjeu fondamental de légitimité politique et juridique.

Car un peuple privé du pouvoir de faire la loi, de rédiger sa propre Constitution, et de contrôler ses représentants, n’est plus souverain. Il est soumis.

Le contexte politique de 1958 : mise en place d’un régime d’exception

L’année 1958 marque un tournant décisif dans l’histoire politique contemporaine de la France. Minée par l’instabilité ministérielle chronique de la Quatrième République, et paralysée face à la guerre d’Algérie, la classe politique se trouve confrontée à une crise institutionnelle sans précédent. Dans ce contexte explosif, le général Charles de Gaulle, retiré de la vie publique depuis janvier 1946, est rappelé au pouvoir sous la pression croissante de l’armée, des colons d’Algérie et de certaines élites politiques françaises, désireuses d’un changement radical de régime.

Le 1er juin 1958, Charles de Gaulle est investi président du Conseil par 329 voix contre 224 à l’Assemblée nationale, devenant ainsi le dernier chef de gouvernement de la IVe République. Cette investiture, obtenue dans l’urgence et sous la menace d’un effondrement du pouvoir civil, se déroule dans des conditions d’exception qui dérogent aux principes constitutionnels en vigueur. En échange de son retour, de Gaulle exige des pouvoirs élargis, une révision constitutionnelle immédiate, et la possibilité de gouverner par ordonnances.

Pour donner une apparence de légitimité à ce basculement, son gouvernement est composé avec soin : 23 ministres sont nommés, dont 15 parlementaires et 7 hauts fonctionnaires. Toutes les grandes familles politiques sont représentées, à l’exception du Parti communiste, pourtant première force d’opposition. Parmi les ministres d’État figurent Guy Mollet (SFIO), Pierre Pflimlin (MRP), Louis Jacquinot (Indépendant) et Félix Houphouët-Boigny (RDA). Antoine Pinay est nommé aux Finances afin de rassurer les marchés. À l’inverse, seuls trois gaullistes sont présents : Michel Debré, André Malraux et Edmond Michelet.

Mais derrière cette façade d’unité nationale, se prépare en réalité une opération de prise de pouvoir constitutionnel sans précédent. L’objectif du général de Gaulle, soutenu par ses fidèles et par certains hauts fonctionnaires, n’est pas simplement de stabiliser les institutions existantes : il s’agit de les remplacer entièrement, en transférant l’essentiel du pouvoir à l’exécutif. Le retour de de Gaulle marque ainsi le point de départ d’un régime d’exception, fondé sur la dérogation aux règles fondamentales de la République parlementaire.

La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 : un transfert illégal du pouvoir constituant

La loi constitutionnelle du 3 juin 1958, adoptée dans un climat d’instabilité politique, marque un tournant décisif dans l’histoire institutionnelle de la France. Officiellement présentée comme une loi de révision de la Constitution de 1946, elle opère en réalité un transfert illégal du pouvoir constituant, violant le principe fondamental de la souveraineté nationale.

Article unique – Loi constitutionnelle du 3 juin 1958

Par dérogation aux dispositions de son article 90, la Constitution sera révisée par le gouvernement investi le 1er juin 1958 et ce, dans les formes suivantes :

Le Gouvernement de la République établit un projet de loi constitutionnelle mettant en œuvre les principes ci-après :
1° Seul le suffrage universel est la source du pouvoir. C’est du suffrage universel ou des instances élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ;
2° Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le Gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de leurs attributions ;
3° Le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement ;
4° L’autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer le respect des libertés essentielles telles qu’elles sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de l’homme à laquelle il se réfère ;
5° La Constitution doit permettre d’organiser les rapports de la République avec les peuples qui lui sont associés.

Pour établir le projet, le Gouvernement recueille l’avis d’un comité consultatif où siègent notamment des membres du Parlement désignés par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République. Le nombre des membres du comité consultatif désignés par chacune des commissions est au moins égal au tiers du nombre des membres de ces commissions ; le nombre total des membres du comité consultatif désignés par les commissions est égal aux deux tiers des membres du comité.

Le projet de loi arrêté en Conseil des ministres, après avis du Conseil d’État, est soumis au référendum. La loi constitutionnelle portant révision de la Constitution est promulguée par le président de la République dans les huit jours de son adoption.

Ce texte semble décrire un processus exceptionnel mais néanmoins encadré. En apparence, le gouvernement agit conformément à une délégation de pouvoir parlementaire. En réalité, cette loi opère une suspension unilatérale de l’article 90 de la Constitution de 1946, article qui imposait une procédure parlementaire stricte, avec double lecture et vote renforcé, avant toute révision. Elle évacue purement et simplement le rôle du Parlement comme garant du pacte constitutionnel.

Le cœur du problème réside dans la nature du pouvoir exercé. Le pouvoir de réviser la Constitution est un pouvoir constitué, soumis à des formes et à des limites. Le pouvoir de rédiger une nouvelle Constitution, en revanche, est un pouvoir constituant, qui n’appartient qu’au peuple souverain ou à une Assemblée spécialement élue à cet effet. En confiant au seul gouvernement le soin d’élaborer un texte fondamental, sans contrôle parlementaire réel ni mandat constituant, la loi du 3 juin 1958 viole ce principe fondamental.

Le comité consultatif prévu n’a aucune valeur démocratique : ce n’est ni une Assemblée constituante ni une instance représentative du suffrage universel. Il s’agit d’un organe désigné, dépourvu de tout pouvoir de décision, réduit au rôle de chambre d’enregistrement. Le projet, une fois rédigé à huis clos, est directement soumis au référendum, sans débat public ni procédure parlementaire.

Le dernier alinéa est tout aussi révélateur : la loi « portant révision » de la Constitution devait être promulguée dans les huit jours de son adoption, conformément au texte voté. Ce terme de « révision » est essentiel : il démontre que la loi ne visait pas à fonder un nouveau régime, mais à modifier le précédent dans des limites définies. Or, dans les faits, ce n’est pas une révision mais une refonte complète du système politique français qui a été opérée, en contradiction flagrante avec le mandat juridique initial.

En droit public, un principe intangible veut qu’un pouvoir délégué ne puisse déléguer à son tour la compétence qui lui a été confiée. Le Parlement, en tant que délégataire de la souveraineté nationale, ne pouvait transférer au gouvernement une mission constituante. Il ne pouvait que l’exercer lui-même ou convoquer une Assemblée spécialement élue à cet effet. En acceptant ce transfert, il s’est rendu complice d’un véritable coup d’État légal, violant le principe d’intangibilité du pouvoir constituant.

La loi constitutionnelle du 3 juin 1958, sous son apparence technique et encadrée, constitue donc un acte de forfaiture juridique : une substitution illégitime des règles fondatrices, un viol du droit constitutionnel existant, et un déni de la souveraineté populaire.

L’effondrement de la séparation des pouvoirs et la dictature par ordonnance

L’un des principes fondamentaux énoncés par la loi du 3 juin 1958 était celui de la séparation des pouvoirs. Pourtant, dès la mise en œuvre du nouveau régime, ce principe est vidé de toute substance. Le pouvoir exécutif s’empare de l’intégralité de l’appareil législatif par le biais des ordonnances, sans contrôle effectif du Parlement ni possibilité de censure réelle.

Le recours aux ordonnances en 1958 marque une rupture définitive avec l’équilibre des pouvoirs. Ces textes, souvent présentés comme techniques ou transitoires, ont en réalité réorganisé l’ensemble des institutions : élection du président, nomination des magistrats, fonctionnement du Parlement, Conseil constitutionnel, Conseil supérieur de la magistrature, élections législatives et sénatoriales, etc. Aucun de ces textes fondateurs n’a été ratifié par le Parlement dans les formes exigées. Aucun n’a été promulgué avec une signature présidentielle conforme. La justice, l’Assemblée, les élections et la présidence ont ainsi été refondées sans base légale.

Ce pouvoir normatif sans contrôle, instauré en 1958, préfigure ce que deviendra des décennies plus tard l’usage systématique de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Le gouvernement peut désormais imposer ses textes sans vote, en engageant sa responsabilité sur leur adoption, sachant que la discipline partisane rend toute motion de censure illusoire. Ce mécanisme, massivement utilisé sous la Ve République, n’est que la continuité directe du processus engagé par Charles de Gaulle : contourner le débat parlementaire, gouverner par décret ou ordonnance, et imposer la loi par voie d’autorité.

Ainsi, la Ve République n’a jamais été fondée sur une véritable séparation des pouvoirs. Elle repose sur une domination permanente de l’exécutif sur le législatif, et sur une justice subordonnée à l’État. Le principe de souveraineté nationale est vidé de son contenu. Le Parlement est réduit à une chambre d’enregistrement. La démocratie représentative est une façade, dissimulant un pouvoir technocratique centralisé, gouverné par ordonnances, décrets, et mécanismes d’urgence.

Une Constitution consolidée sans valeur juridique

La Constitution du 4 octobre 1958, présentée comme la pierre angulaire de la Ve République, est aujourd’hui un texte fantôme. Elle n’a jamais été republiée intégralement dans une version consolidée, officiellement promulguée et authentifiée après ses nombreuses révisions. Or, en droit, seule une publication régulière au Journal officiel dans sa version complète, signée par une autorité compétente, permet de garantir l’opposabilité d’un texte fondamental. Ce n’est pas le cas ici.

Les versions de la Constitution disponibles sur Légifrance n’ont qu’une valeur informative. Elles ne sont pas juridiquement opposables. Aucune version consolidée de la Constitution n’a été publiée de manière authentique depuis 1958. De multiples révisions sont intervenues – en 1962, 1974, 2000, 2008, entre autres – sans que le texte modifié ne soit jamais repromulgué selon les règles juridiques impératives. Ce défaut n’est pas une simple négligence administrative, mais un vice fondamental. Il prive le texte de toute valeur juridique actuelle. Un texte aussi central que la Constitution ne peut être appliqué qu’en étant intégralement publié, dans une version valide, identifiable, signée, datée, authentifiée. Cela n’a jamais été fait.

En conséquence, le texte constitutionnel invoqué aujourd’hui pour justifier lois, décisions, nominations, élections ou pouvoirs, n’existe pas juridiquement. Il est inopposable en l’état. Le pouvoir exécutif et les autorités publiques prétendent fonder leurs décisions sur un document qui, en réalité, n’est pas un acte juridique régulier mais une compilation d’articles non authentifiés.

Le discours du 4 septembre et le référendum du 28 septembre 1958 : un habillage démocratique illusoire

Le 4 septembre 1958, place de la République à Paris, Charles de Gaulle s’adresse solennellement au peuple français pour présenter ce qu’il appelle le projet d’une « nouvelle République ». Mais avant lui, c’est André Malraux qui prend la parole dans un discours vibrant d’émotion. Il invoque la mémoire de la Révolution, la Résistance, les maquisards, la République éternelle et la grandeur de la France, dans un style lyrique et exalté. Il parle d’égalité, de fraternité, de justice, mais passe sous silence les mécanismes juridiques et politiques concrets par lesquels le régime en place est en train d’être balayé.

Le 1er juin 1958, Charles de Gaulle revient officiellement au pouvoir, nommé président du Conseil par l’Assemblée nationale. Dans la composition de son gouvernement, il confie à André Malraux un poste stratégique : ministre délégué à la présidence du Conseil, en charge de l’Information. Ce rôle, loin d’être anodin, lui donne la responsabilité directe de la communication gouvernementale dans une période charnière de transformation politique. Dès juillet 1958, Malraux voit sa mission élargie à l’expansion et au rayonnement de la culture française, consolidant ainsi sa position comme l’un des grands vecteurs du récit fondateur de la Cinquième République.

Son discours du 4 septembre 1958, lyrique et enflammé, prend alors tout son sens : il n’est pas une parole libre de penseur ou d’intellectuel, mais l’intervention d’un ministre chargé de canaliser l’émotion populaire pour légitimer un projet institutionnel préétabli. En exaltant les valeurs de la République, la mémoire de la Résistance, la fierté nationale et la fraternité combattante, il détourne l’attention du peuple des enjeux juridiques réels et de la rupture institutionnelle qui se prépare. À aucun moment, Malraux ne mentionne les modalités d’élaboration de la Constitution, ni le processus de confiscation du pouvoir constituant par l’exécutif. Il prépare ainsi le terrain pour Charles de Gaulle, dont le discours prolonge cette mise en scène consensuelle, masquant habilement la nature profondément unilatérale et opaque du processus constitutionnel en cours.

Certes, Malraux évoque la Cinquième République, mais il le fait dans des termes purement symboliques et abstraits :

« L’espoir est immense, même dans l’ordre de la justice, car de ce qui fut l’empire colonial de la IIIᵉ République, la Ve va faire avec vous la communauté. [...] Le pays sait que la Ve République apporte avec elle une chance et un espoir, alors que la IVᵉ ne portait plus en elle qu’échecs ou abandons. [...] C’est à vous qu’il appartient de tenter de faire de la Ve République l’héritière de la Iʳᵉ ou l’héritière de la machine à crise ministérielle [...] »

Mais à aucun moment il n’explique ce que contient cette Ve République, comment elle est née, ni ce qu’elle modifie du régime républicain. Il n’y a aucune mention du processus de rédaction opaque, du rôle du gouvernement, ni du fait que le peuple n’a pas été associé à l’élaboration de ce texte.

Puis vient le discours de Charles de Gaulle, construit sur la même logique. Il évoque le salut national, la stabilité retrouvée, l’efficacité de l’État, mais sans jamais présenter le contenu du texte constitutionnel soumis au référendum. Le général De Gaulle se garde bien de citer l’article 92, qui permettra au gouvernement de légiférer sans contrôle pour mettre en œuvre la Constitution. Il ne mentionne pas que le texte a été rédigé en dehors de toute assemblée constituante, qu’il résulte d’un processus unilatéral, ni qu’il déroge gravement aux principes de souveraineté populaire énoncés dans la Déclaration des droits de l’homme et la Constitution de 1946.

Le peuple, rassemblé pour écouter les figures historiques qui incarnent la Résistance et la République, n’a en réalité aucun moyen de comprendre ce qu’on s’apprête à lui imposer. Le texte de la Constitution n’est pas publié dans son intégralité dans la presse de masse, il n’est pas débattu, il n’est pas commenté librement par tous les partis. Le discours du 4 septembre n’est pas une présentation démocratique d’un projet constitutionnel, mais un outil de communication destiné à légitimer une rupture de régime par l’émotion et la confiance aveugle.

Il est essentiel de rappeler que le référendum du 28 septembre 1958 s’est tenu sous les institutions encore en vigueur de la IVᵉ République. Si le Parlement avait été dissous dès juin 1958, conformément aux conditions prévues par la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, les autres structures institutionnelles, telles que la présidence de la République, les ministères, le Conseil de la République et le Conseil d’État, demeuraient pleinement opérationnelles. Le Conseil constitutionnel n’existait pas encore : il ne sera créé que par l’ordonnance du 7 novembre 1958, après le référendum. Le Président René Coty, investi selon la Constitution de 1946, est d’ailleurs resté en exercice jusqu’à la passation de pouvoir du 8 janvier 1959 avec Charles de Gaulle. Ce contexte démontre qu’aucune rupture formelle de régime n’a été actée, mais qu’un simple glissement institutionnel a été opéré sous couvert de révision.

De plus, le texte soumis au référendum n’a pas été élaboré par une assemblée constituante élue, comme l’exigerait tout véritable processus démocratique, mais rédigé en coulisses par le gouvernement, principalement sous la plume de Michel Debré, ministre de la Justice. Cette rédaction unilatérale, hors de tout cadre parlementaire et sans participation populaire, constitue une confiscation complète du pouvoir constituant, en violation flagrante du principe de souveraineté nationale.

Le référendum du 28 septembre 1958, censé consacrer le « choix du peuple », s’est tenu dans un contexte radicalement contraire aux principes de la démocratie. L’Assemblée nationale était suspendue, le Conseil de la République neutralisé, les partis d’opposition bâillonnés, et la propagande omniprésente. Le « oui » était présenté comme un acte patriotique indispensable, le « non » comme une trahison nationale. Aucune alternative n’était proposée, aucun débat libre ne pouvait avoir lieu, et le peuple n’a jamais eu l’opportunité de choisir entre plusieurs projets ni d’amender le texte.

Ainsi, le discours du 4 septembre et le référendum du 28 septembre n’ont pas été des actes de souveraineté populaire, mais des instruments de validation d’une prise de pouvoir unilatérale par l’exécutif. Les symboles républicains ont été détournés pour masquer un basculement autoritaire. Le peuple n’a pas participé à l’écriture de la Constitution, il n’en a pas débattu, il n’en a même pas pris pleinement connaissance. Il n’a donc pas pu y consentir. Le régime né de cette manipulation n’a aucune légitimité démocratique véritable : la Ve République repose sur un mensonge fondateur.

Une passation dans la continuité, non une fondation républicaine

La Constitution du 4 octobre 1958 n’a pas été promulguée par une nouvelle autorité constituée, mais bien par René Coty, président de la IVᵉ République, encore en fonction au moment de sa mise en œuvre. Ce dernier préside même la passation de pouvoir le 8 janvier 1959 à Charles de Gaulle, ce qui démontre, sans ambiguïté, que la nouvelle Constitution n’a pas rompu juridiquement avec la précédente, mais s’est inscrite dans la continuité de l’ordre constitutionnel antérieur.

Il s’agit donc moins de la naissance d’une République nouvelle que d’une succession institutionnelle camouflée sous un habillage démocratique. Charles de Gaulle, profondément hostile à la Constitution de 1946 qu’il avait quittée en janvier 1946, a volontairement refusé toute affiliation explicite à cette dernière. Pourtant, la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 n’autorisait qu’une révision, et non une refondation. Ce tour de passe-passe juridique constitue en réalité un coup d’État politique, un hold-up constitutionnel, perpétré avec l’apparence du droit.

Car malgré l’apparente nouveauté de la Ve République, la Constitution de 1958 reprend en réalité les fondements juridiques et les références de celle de 1946. Elle conserve notamment le préambule, réaffirme certains principes fondamentaux, et procède à une réorganisation des pouvoirs sans changer la nature républicaine du régime. L’innovation principale réside dans le renforcement des pouvoirs du Président, au détriment du Parlement.

La Cinquième République n’est donc pas une nouvelle République au sens juridique du terme, mais un aménagement autoritaire de la Quatrième, entériné sous contrainte et sans véritable consentement populaire. L’Assemblée nationale, désormais subordonnée à l’exécutif, voit son rôle réduit à celui de chambre d’enregistrement, cantonnée au vote du budget et des lois, tandis que les députés, devenus des professionnels du carriérisme politique, servent les intérêts de leurs partis plutôt que ceux du peuple.

Ainsi, la prétendue « nouvelle République » n’est qu’un changement de façade destiné à masquer une confiscation du pouvoir, une trahison des principes fondamentaux de la démocratie représentative. En réalité, la Ve République est née dans le mensonge et dans la continuité, non dans la rupture. Elle ne résulte pas d’une volonté populaire exprimée librement, mais d’un acte de force habillé en référendum. Il est donc légitime de contester sa légitimité même.

Le Titre XV de la Constitution de 1958 : Preuve écrite d’un pouvoir sans légitimité démocratique

Les articles 90 à 92 de la Constitution de 1958, regroupés dans son Titre XV intitulé « Dispositions transitoires », dévoilent sans ambiguïté la nature profondément antidémocratique du processus de fondation du nouveau régime.

L’article 90 suspend expressément la session ordinaire du Parlement et stipule que les députés en fonction verront leur mandat expirer à la date de la réunion de la future Assemblée nationale. Autrement dit, le corps législatif est mis en sommeil, ce qui prive le peuple de tout relais institutionnel durant une période déterminante. Le gouvernement s’octroie ainsi le monopole de l’initiative politique, sans contre-pouvoir.

L’article 91 organise le maintien en fonction de toutes les autorités existantes, notamment du président de la République — René Coty —, jusqu’à la mise en place des nouvelles institutions. Il précise que le Conseil de la République sera provisoirement transformé en Sénat, et qu’une commission transitoire, non élue, exercera les attributions du Conseil constitutionnel. Cela confirme que la prétendue « nouvelle République » s’installe en recyclant les structures de la précédente.

Mais c’est l’article 92 qui trahit le plus clairement la volonté de concentrer le pouvoir entre les mains de l’exécutif. Il autorise le gouvernement à légiférer par ordonnances « ayant force de loi » dans tous les domaines qu’il juge utiles « à la vie de la nation ». Il peut fixer le régime électoral des futures assemblées et prendre toutes les mesures qu’il estime nécessaires. Le pouvoir constituant, au lieu d’être exercé par le peuple ou par une assemblée élue, est ainsi capté par le gouvernement en place.

Ces trois articles agissent comme le mode d’emploi d’un coup d’État juridique : ils neutralisent le Parlement, suppriment tout contre-pouvoir, et permettent à l’exécutif de se substituer à la souveraineté populaire. Loin de constituer de simples « dispositions techniques », ils révèlent la stratégie de contournement démocratique qui a permis d’imposer un nouveau régime sans rupture légale apparente.

La prétendue Cinquième République n’est donc pas issue d’un processus constituant légitime, mais d’un dispositif transitoire visant à donner une apparence de légalité à un accaparement du pouvoir. Le Titre XV constitue la preuve écrite de cette opération de subversion juridique.

Une promulgation irrégulière et une mise en œuvre frauduleuse des institutions

La Constitution du 4 octobre 1958 est présentée officiellement comme ayant été adoptée par le peuple français lors du référendum du 28 septembre 1958. Pourtant, cette adoption repose sur une série d’irrégularités et d’illégalités majeures. Non seulement le texte promulgué n’a pas respecté les procédures prévues par la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, mais sa mise en œuvre s’est déroulée dans un cadre frauduleux, sans respect des principes de continuité constitutionnelle ni des exigences fondamentales du consentement populaire éclairé.

La loi du 3 juin 1958 ne prévoyait qu’une révision de la Constitution de 1946, dans un cadre strictement encadré. Elle n’autorisait nullement une rupture du régime ou la rédaction d’un nouveau texte constitutionnel. Le gouvernement de Charles de Gaulle était limité à proposer un projet conforme aux cinq principes impératifs explicitement fixés : souveraineté du suffrage universel, séparation des pouvoirs, responsabilité du gouvernement devant le Parlement, indépendance de l’autorité judiciaire et respect des droits fondamentaux. Ces principes étaient issus du préambule de la Constitution de 1946, que la loi de révision ne pouvait ni ignorer, ni écarter.

Le dernier alinéa de la loi du 3 juin est sans équivoque : « Le projet de loi arrêté en Conseil des ministres, après avis du Conseil d'État, est soumis au référendum. La loi constitutionnelle portant révision de la Constitution est promulguée par le président de la République dans les huit jours de son adoption. »

Or, le texte promulgué le 4 octobre 1958 ne constitue pas une « loi constitutionnelle portant révision » : il s’agit d’un acte unilatéral intitulé « Constitution de la République française », promulgué sans qu’aucune loi de révision conforme n’ait été adoptée. Il n’existe aucun texte intermédiaire transformant le résultat du référendum en loi constitutionnelle. Ce glissement illégal, de nature réglementaire, constitue une rupture manifeste de la chaîne de légalité constitutionnelle. La souveraineté populaire a été invoquée pour justifier un acte qui n’avait en réalité aucune base légale.

Pire encore, la Constitution de 1946 n’a jamais été formellement abrogée. Aucun article de la nouvelle Constitution n’en proclame explicitement la caducité. Aucune loi d’abrogation n’a été promulguée. Aucune dissolution de la IVᵉ République n’a été juridiquement actée. La continuité de certaines institutions – présidence, ministères, juridictions – jusqu’à janvier 1959 prouve qu’aucun acte formel de transition n’a été réalisé. Ce silence procédural, volontairement entretenu, aggrave le caractère frauduleux du basculement de régime.

Le texte soumis au référendum n’a jamais été présenté dans son intégralité au peuple français. Le discours du général de Gaulle du 4 septembre 1958, tout en mobilisant l’émotion collective, ne mentionne ni l’article 92, ni le rôle dévolu aux ordonnances. Le contenu juridique du projet reste volontairement occulté. Ce choix délibéré empêche tout consentement véritablement éclairé.

L’article 92 de la nouvelle Constitution, inséré sans débat démocratique, accorde au gouvernement un pouvoir de légiférer seul, par ordonnances, dans tous les domaines nécessaires à la mise en place des institutions du nouveau régime. Cette disposition instaure de facto un régime d’exception constitutionnalisé, sans aucun fondement dans la loi d’habilitation du 3 juin 1958. Elle consacre la mise en œuvre d’une dictature provisoire, masquée par les apparences d’un processus républicain.

Les conditions matérielles du référendum achèvent de discréditer ce prétendu acte de souveraineté : l’Assemblée nationale était suspendue, les partis d’opposition marginalisés, la presse muselée, et la propagande d’État omniprésente. Le scrutin n’a laissé place à aucun débat contradictoire, aucun amendement possible, aucun choix alternatif. Le peuple n’a pu que dire « oui » ou « non » à un texte qu’il n’avait pas écrit, qu’il ne pouvait modifier, et qu’il n’avait, pour la plupart, même pas pu lire dans son intégralité.

Dans ces conditions, il est juridiquement et politiquement faux d’affirmer que la Constitution du 4 octobre 1958 aurait été librement adoptée par le peuple français. Il n’y eut ni ratification régulière, ni abrogation formelle du texte antérieur, ni promulgation conforme aux règles constitutionnelles. Il y eut, en réalité, une usurpation du pouvoir constituant, opérée par un gouvernement agissant en dehors de tout mandat légitime, et dissimulant une prise de pouvoir sous les traits d’une réforme institutionnelle.

Toutes les institutions issues de cette imposture — Conseil constitutionnel, Parlement, Présidence de la République, juridictions — reposent sur un texte vicié à la racine. La Cinquième République n’est pas un régime démocratiquement fondé, mais le produit d’un coup d’État juridique dissimulé derrière un rideau de propagande républicaine.

Retour sur l’illégalité des constitutions antérieures depuis 1791

Avant d’aborder les institutions mises en place sous la Cinquième République — lesquelles reposent sur un texte fondamental inconstitutionnel — il est indispensable de remonter dans le temps afin d’examiner la légalité des constitutions précédentes. Car si la Constitution de 1958 est entachée d’illégalité, elle s’inscrit dans une continuité de ruptures juridiques et de dissimulations successives, qui ont affecté les constitutions de la Deuxième, de la Troisième et de la Quatrième République. Ce retour historique est essentiel pour démontrer l’effondrement continu du droit constitutionnel en France, et pour mettre en lumière la perte progressive de souveraineté du peuple français.

Nous devons remonter jusqu’en 1940. À cette date, la Troisième République est toujours en place, et Albert Lebrun en est toujours officiellement le président. Pourtant, le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale vote un acte constitutionnel conférant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain pour élaborer une nouvelle Constitution de « l’État français ». Cet acte ne prévoit pas l’abrogation de la République ni la suspension explicite des lois constitutionnelles de 1875. Il confère seulement un pouvoir constituant au président du Conseil.

Or, par une interprétation abusive, Pétain considère cet acte comme autorisant la mise en sommeil de la République et l’instauration de son régime autoritaire. En réalité, cet acte du 10 juillet 1940 ne fut jamais promulgué régulièrement. Il est juridiquement nul, comme le rappellent les articles 2 et 3 de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine. Charles de Gaulle dénonça cet acte comme un « coup d’État », émanant d’un gouvernement de fait. Il n’avait aucune valeur légale.

En 1945, le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), dirigé par de Gaulle, fait adopter la loi du 2 novembre 1945 portant organisation provisoire des pouvoirs publics, dans le but d’élaborer une nouvelle Constitution. Or, le GPRF n’avait ni légitimité juridique, ni pouvoir légal pour promulguer des lois constitutionnelles. La Constitution de 1946 est adoptée par référendum le 13 octobre 1946, mais elle est promulguée par un gouvernement provisoire, et non par le président en exercice de la Troisième République. Le journal officiel atteste qu’Albert Lebrun n’a jamais signé ce texte.

Le texte du référendum du 21 octobre 1945, à la suite duquel l’Assemblée constituante fut élue, n’a jamais été formellement promulgué au Journal officiel. Cette absence de promulgation contredit les règles de validité constitutionnelle et prive cette consultation populaire de toute valeur juridique contraignante. Il ne s’agit pas simplement d’un oubli matériel, mais d’un manquement fondamental à la procédure démocratique.

De même, le référendum du 13 octobre 1946, qui a servi de fondement à la Constitution de la IVᵉ République, n’a fait l’objet que d’une proclamation de résultats par une commission électorale. Aucun acte authentique de promulgation, signé par une autorité compétente et publié avec les formes requises, n’est venu transformer cette consultation populaire en loi constitutionnelle. Cette carence enlève toute force normative à la prétendue Constitution de 1946.

La Constitution du 27 octobre 1946 repose donc sur une base illégale. Elle n’a pas été promulguée conformément à l’article 1er du Code civil, qui impose que seule l’autorité compétente peut promulguer les lois. Ce fondement reste valable, puisque les lois constitutionnelles de 1875 n’ont jamais été abrogées régulièrement, et que le pouvoir de promulgation n’a jamais été transféré légalement.

Mais ces lois de 1875 sont elles-mêmes entachées d’irrégularité : elles n’ont pas été promulguées légalement selon les exigences du Code civil. La dernière promulgation régulière date du 17 juillet 1916, par le Roi. Il en résulte qu’aucune Constitution n’a été légalement promulguée depuis la fin du règne monarchique.

Même la Deuxième République, issue du vote de l’Assemblée du 4 novembre 1848, est viciée dans sa légitimité, Louis-Napoléon Bonaparte ayant été élu président dans un cadre institutionnel qui ne respecte pas les exigences de promulgation du Code civil.

La Constitution de 1793, pourtant adoptée par référendum, n’a jamais été appliquée ni promulguée. Elle est restée lettre morte, suspendue par la Terreur, puis oubliée par les régimes suivants. Elle ne peut donc être considérée comme une norme juridiquement opérante dans l’histoire constitutionnelle française.

Ainsi, les constitutions de la Deuxième, Troisième, Quatrième et Cinquième République reposent toutes sur des actes non promulgués régulièrement. La seule Constitution véritablement promulguée en bonne et due forme est celle de 1791.

La France n’a donc plus de Constitution légitime. Le peuple n’a jamais pu exercer pleinement son droit de consentement. Les présidents de la République successifs, sachant pertinemment l’irrégularité de leur mandat, se sont bien gardés de le dénoncer. Nous sommes face à une escroquerie historique et institutionnelle. Aucun président n’a jamais remis en cause ce système frauduleux. Il s’agit d’une usurpation continue du pouvoir, fondée sur un dol constitutionnel. Dans ces conditions, les personnes désignées comme « présidents de la République » ne peuvent se prévaloir d’aucune immunité. Elles agissent sans fondement légal et doivent être considérées comme personnellement responsables de cette imposture républicaine.

Une continuité de façade : le faux-semblant des préambules pour maquiller une rupture illégale

Pour tenter de donner une apparence de légalité à leur entreprise, les auteurs de la Constitution de 1958 ont intégré dans le texte le préambule de la Constitution de 1946, lui-même renvoyant à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce choix n’est pas anodin : en reprenant ces textes de référence, ils ont voulu suggérer une continuité juridique avec les régimes précédents, comme si la Cinquième République s’inscrivait dans une tradition républicaine ininterrompue. Mais cette opération relève du pur trompe-l’œil.

Il s’agissait d’un artifice destiné à masquer ce qui était en réalité une rupture radicale de régime. La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 n’autorisait qu’une révision du texte de 1946, dans un cadre restreint et selon des principes strictement définis. Or, dès le discours du 4 septembre 1958, Charles de Gaulle évoque une « nouvelle République », ce qui trahit une volonté délibérée de rompre avec le régime antérieur. Il reconnaît implicitement qu’il ne s’agit pas d’une révision, mais d’une refondation complète du système constitutionnel, sans base juridique pour ce faire.

Cette contradiction entre l’apparence de continuité (via le maintien des préambules) et la réalité d’un changement de régime constitue une fraude constitutionnelle manifeste. Elle a permis de faire croire que le texte était une suite logique de l’histoire républicaine, alors qu’il en constitue une discontinuité totale, imposée sans respect de la souveraineté populaire.

De Gaulle, profondément hostile aux institutions parlementaires de la IVe République qu’il jugeait impuissantes, voulait rendre au président de la République un pouvoir exécutif fort. Le nouveau texte consacre ce changement : le président devient chef de l’exécutif, maître de la politique étrangère et de la défense, et peut dissoudre l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un transfert massif de compétences, sans fondement légal, qui outrepasse largement le cadre autorisé par la loi du 3 juin 1958.

En somme, en préservant les symboles (préambules, références historiques), les auteurs de la Constitution de 1958 ont voulu neutraliser toute critique sur la rupture opérée. Mais cette continuité n’est qu’apparente. Le texte de 1958 constitue un véritable acte de refondation illégitime, un coup d’État juridique masqué sous les oripeaux de la légalité républicaine. C’est ainsi que, sous couvert d’un retour à l’ordre, la Cinquième République est née d’un acte de falsification constitutionnelle.

Conclusion de l’analyse de la CISDHJ : La République confisquée – un coup d’État permanent contre la souveraineté du peuple

Au terme de cette démonstration, le constat s’impose avec une évidence glaçante : la Cinquième République ne repose sur aucun fondement démocratique authentique. La prétendue « Constitution du 4 octobre 1958 » est née d’un abus de pouvoir, fondée sur une loi constitutionnelle adoptée en violation du droit, mise en œuvre par ordonnances, sans procédure régulière, sans débat parlementaire réel, et sans ratification conforme aux exigences de la souveraineté nationale. Ce texte n’est pas une Constitution, mais l’instrument juridique d’un basculement illégal de régime.

Toutes les institutions issues de ce socle vicié — Gouvernement, Parlement, Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour des comptes, Cour de justice de la République, Conseil supérieur de la magistrature, et même l’autorité judiciaire dans son ensemble — ont été instituées par ordonnances non ratifiées, non promulguées, ou fondées sur des lois organiques inopposables. En agissant ainsi, le pouvoir exécutif de 1958, conduit par Charles de Gaulle, a instauré un système de gouvernance où la légalité a été purement et simplement suspendue, remplacée par des actes de puissance unilatérale, maquillés en normes républicaines.

Depuis plus de soixante ans, cette fraude constitutionnelle originelle perdure, se reproduit, et s’aggrave. Les juridictions censées incarner la séparation des pouvoirs agissent en réalité sous le contrôle direct de l’exécutif, par le biais de nominations politiques, de hiérarchies administratives et de textes illégaux. Les hauts fonctionnaires, les magistrats, les juges, les membres du Conseil constitutionnel et des autorités prétendument indépendantes ne tirent leur légitimité que de décrets ou d’ordonnances privés de valeur légale. La séparation des pouvoirs est une fiction, la démocratie un décor, la souveraineté populaire un slogan vidé de toute substance.

Pire encore : les instruments de contrôle censés garantir la transparence et la responsabilité des gouvernants — Cour des comptes, Défenseur des droits, CESE, autorité judiciaire — ont été méthodiquement transformés en chambres d’enregistrement ou en vitrines technocratiques, soumises au pouvoir qu’elles sont censées surveiller. Il ne s’agit plus d’une République, mais d’un appareil d’État illégitime, imposant ses décisions à un peuple dépossédé de ses droits, de ses ressources et de sa souveraineté.

Et que dire du Parlement, présenté comme la représentation nationale ? L’Assemblée nationale n’est plus qu’une pièce de théâtre à ciel ouvert, où les députés ne sont que des figurants dociles d’un scénario écrit ailleurs. Beaucoup appartiennent au même parti que le gouvernement ou sont issus de formations alliées. Ils ne sont ni indépendants, ni représentatifs : ils obéissent aux consignes, valident des textes écrits par l’exécutif, adoptent des lois répressives et antisociales, tout en s’octroyant des avantages indécents. Ils ne représentent pas les citoyens ; ils se représentent eux-mêmes. La politique est devenue une rente, une caste s’arrogeant des revenus mensuels dépassant parfois 25 000 euros, pendant que des millions de Français s’enfoncent dans la misère, dorment dans la rue, ou se suicident sous le poids des dettes et du harcèlement administratif. Voilà la vérité de ce régime : une République pour les puissants, une tyrannie pour les autres.

Ainsi que l’ont démontré les sections précédentes, ce système s’est construit et maintenu par la ruse juridique, l’opacité institutionnelle, la confiscation du pouvoir constituant, et la terreur normative. Il repose sur l’inversion des principes fondamentaux : ce n’est plus le droit qui encadre le pouvoir, mais le pouvoir qui façonne le droit à son image, sans légitimité populaire, sans contrôle démocratique, sans limite constitutionnelle réelle.

Pendant que les citoyens sont condamnés pour de simples infractions routières, ou poursuivis pour des dettes contractées dans un système financier opaque, les responsables politiques bénéficient d’une impunité quasi absolue, malgré les scandales, les crimes financiers, les atteintes graves aux libertés et les violences d’État. Cette justice à deux vitesses, cette asymétrie institutionnalisée, révèle la nature profonde du régime : un système de prédation légalisée, fondé sur une fraude originelle, perpétuée par des mécanismes d’usurpation systémique.

Mais cette crise de légitimité ne date pas de 1958. Elle plonge ses racines dans l’histoire même des constitutions françaises. Depuis l’instauration du Directoire en 1795, chaque régime a trahi la souveraineté populaire, en substituant des constitutions de façade à la volonté réelle du peuple. Seule la Constitution de 1793, adoptée par référendum, proclamait sans ambiguïté que « la souveraineté réside dans le peuple ». Elle reconnaissait le droit au travail, à l’insurrection, à la révocabilité des élus. Elle fut suspendue avant même d’être appliquée, et jamais restaurée.

La Constitution de 1791, bien que valablement promulguée, conservait un suffrage censitaire. Celle de 1795 (an III) fut un coup d’État juridique contre 1793, instaurant le régime censitaire du Directoire. Bonaparte acheva ce cycle avec sa Constitution de l’an VIII. Depuis lors, les constitutions françaises ont été imposées par le haut, sans respect du peuple, ni du droit. Celle de 1958 n’est que le dernier avatar d’une longue série de trahisons institutionnelles.

Il est désormais impératif de rompre avec ce cycle de confiscation démocratique. La solution n’est pas dans un simple changement de numéro de République. Elle est dans un réveil de la souveraineté populaire, une refondation juridique authentique, inspirée des principes de 1793, adaptés aux réalités contemporaines. Il faut redonner au peuple le pouvoir constituant, le droit d’écrire ses propres lois, de contrôler ses représentants, et de révoquer les institutions illégitimes.

La Cinquième République n’est pas une démocratie. C’est un coup d’État permanent — non pas militaire, mais juridique, institutionnel, normatif. Un coup d’État réalisé sans fusil, mais avec des ordonnances ; sans chars, mais avec des décrets ; sans censure officielle, mais avec la complicité silencieuse des partis, des médias, et des juges. Ce régime ne peut être réformé de l’intérieur, car il est construit pour résister à toute remise en cause. Il doit être dénoncé, démantelé, et remplacé par un véritable pouvoir fondé sur le suffrage universel, l’État de droit, et le respect des principes républicains authentiques.

Le temps est venu de reprendre en main notre destin collectif. Le droit doit redevenir l’expression vivante de la volonté du peuple.