Election des députés à l’Assemblée nationale
Fraude législative et Ordonnance 58-945 du 13 octobre 1958
Dans la continuité des irrégularités constitutionnelles liées à la période de transition de 1958, l’Ordonnance n° 58-945 du 13 octobre 1958 relative à l’élection des députés à l’Assemblée nationale représente un des actes fondateurs d’un régime politique issu d’une série de violations du droit public.
Cette ordonnance a été prise et promulguée par Charles de Gaulle, alors président du Conseil des ministres, dans un contexte institutionnel profondément vicié. Contrairement à d’autres textes de la période, elle ne revendique même pas le fondement de la loi n° 58-520 du 3 juin 1958, qui excluait explicitement toute intervention du gouvernement en matière électorale. L’ordonnance s’appuie exclusivement sur l’article 92 de la Constitution du 4 octobre 1958.
Or, cet article 92 lui-même constitue une violation manifeste de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958. Cette dernière encadrait strictement la révision de la Constitution de 1946, notamment en interdisant toute modification du régime électoral sans intervention du Parlement. Elle stipulait que seul le suffrage universel est la source du pouvoir, et que le pouvoir exécutif et législatif devaient être effectivement séparés. Le Gouvernement devait également demeurer responsable devant le Parlement, et l’indépendance de l’autorité judiciaire devait être assurée. Aucune disposition n’autorisait une refondation complète du régime ou la mise en œuvre de mesures électorales par simple ordonnance exécutive.
En organisant l’élection des députés sur cette base, l’ordonnance 58-945 a instauré un régime représentatif issu d’un processus électoral fondé sur un texte nul. Elle contrevient à l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui affirme que « la souveraineté nationale appartient au peuple », ainsi qu’aux articles 6 et 16 de la même déclaration, relatifs à la loi comme expression de la volonté générale et à la garantie des droits dans tout régime constitutionnel.
L’article 91 de la Constitution de 1958 confirme l’illégalité de cette ordonnance, puisqu’il précise que les pouvoirs du Président de la République en fonction à la date de promulgation de la Constitution devaient être maintenus jusqu’à l’élection présidentielle. Charles de Gaulle, agissant en dehors de ce cadre, n’était pas légitimement investi pour prendre un acte normatif majeur tel que l’ordonnance électorale du 13 octobre 1958.
L’abrogation de cette ordonnance par la loi du 10 juillet 1985 (article 18 de la loi 85-690) ne saurait effacer rétroactivement l’irrégularité de sa promulgation initiale. Elle confirme même son caractère éphémère et l’instabilité du fondement électoral sur lequel elle repose.
Les conséquences de cette fraude originelle sont majeures : tous les députés élus sur la base de cette ordonnance, et les textes votés par eux, peuvent être considérés comme émanant d’un processus inconstitutionnel. Il en découle une remise en cause structurelle de la légitimité du pouvoir législatif postérieur à 1958.